Nouveaux amis

Libreville multiplie les partenariats avec les pays émergents du Sud. Parmi eux, la Chine et le Brésil sont plutôt bien placés.

Publié le 20 novembre 2005 Lecture : 6 minutes.

On ne s’improvise pas chef de la diplomatie. C’est un métier. Jean Ping, 63 ans, en sait quelque chose. Le ministre gabonais des Affaires étrangères, en poste depuis 1999, forme un harmonieux tandem avec son patron, le président El Hadj Omar Bongo Ondimba. « Avoir la confiance et l’oreille du président, savoir interpréter sa pensée pour mettre en oeuvre rapidement ses instructions est un atout très important pour un ministre comme moi, explique-t-il. Si trop d’acteurs, de conseillers ou d’hommes de l’ombre interfèrent dans la conduite de la diplomatie, l’action perd en lisibilité et en efficacité. C’est vrai dans tous les régimes présidentiels. Moi, j’ai eu la chance d’être directeur de cabinet du chef de l’État pendant six ans. Cela aide. » Ce métis, de mère gabonaise et de père chinois, originaire de la ville d’Omboué, a connu la consécration en 2005. Il a présidé la 59e session de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies, qui a achevé ses travaux en septembre et a accouché d’une réforme inachevée du système onusien. Certes, la très décriée Commission des droits de l’homme de Genève a été remplacée par un Conseil des droits de l’homme, plus présentable au goût de Washington. Et pas mal de chantiers techniques ont été déblayés. Mais les 191 pays membres de l’Organisation ont échoué à se mettre d’accord sur la réforme et l’élargissement du Conseil de sécurité. En refusant de céder sur le principe du droit de veto, le groupe des pays africains, qui revendique deux sièges de membre permanent, a torpillé les efforts du G4 (Japon, Allemagne, Brésil, Inde), qui plaidait pour une approche plus « réaliste ». « C’est une occasion ratée, mais la réforme finira par se faire. Et cela ne doit pas occulter les avancées qui ont été réalisées au cours de la 59e session », commente prudemment Jean Ping. Il n’en dira pas plus sur cette affaire. La Suède, qui a accédé à la présidence de l’Assemblée générale, a demandé à l’ancien titulaire du poste de garder un oeil sur cet épineux dossier et de lui prodiguer d’utiles conseils…
Rien ne prédisposait le Gabon, peuplé d’à peine 1,3 million d’habitants, et qui ne constitue pas, à proprement parler, une puissance régionale, à se retrouver ainsi dans la cour des grands. Pourtant, depuis un quart de siècle maintenant, l’émirat pétrolier de l’Afrique centrale est devenu un pays qui compte, sur la scène africaine comme internationale. Libreville est aujourd’hui une étape presque obligée pour les chefs d’État étrangers en visite sur le continent. Au cours des derniers mois, le Gabon a accueilli successivement le président chinois Hu Jintao, son homologue brésilien Luis Inácio Lula da Silva, le Sud-Africain Thabo Mbeki, sans parler des nombreux autres dirigeants africains venus solliciter analyses, conseils fraternels et « coups de pouce » du doyen Omar Bongo Ondimba. Spécialiste des médiations difficiles et des missions de bons offices, le chef de l’État gabonais dispose d’un entregent considérable. Ami de longue date de la France, il est très lié avec le monde politique hexagonal et constitue l’un des meilleurs relais d’influence de l’ex-métropole dans ce qui fut « le pré carré francophone ». Confident de Jacques Chirac, avec qui il s’entretient à tout propos, il était aussi très proche de feu le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny et du défunt roi du Maroc Hassan II. Il est d’ailleurs au mieux avec l’héritier de ce dernier, Mohammed VI, qui s’est rendu deux fois au Gabon (où il possède une petite propriété sur la Pointe-Denis, face à Libreville) au cours de l’année écoulée. Ce carnet d’adresses et son expérience confèrent au président gabonais une stature internationale enviée. Et suscite aussi des jalousies et, parfois, quelques frictions.
« Il n’y a pas de secret, analyse Jean Ping. Le poids du Gabon doit beaucoup à la personnalité du chef de l’État, qui accorde toute l’importance nécessaire aux questions de relations internationales, qui voyage beaucoup, participe à tous les sommets. La diplomatie est son violon d’Ingres. Mais ce n’est pas une simple lubie. Prenez ses médiations, son implication dans la résolution des conflits en Afrique, via le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine (Soudan, Côte d’Ivoire), dont notre pays est membre, ou dans la sous-région (au Congo-Brazzaville, en RD Congo et en République centrafricaine). Certains de nos compatriotes s’interrogent et se demandent pourquoi nous dépensons autant de temps et d’argent dans des histoires qui ne nous regardent pas. Mais il faut comprendre que la sécurité du Gabon, qui est un petit pays, passe par la paix chez ses voisins. Le président a coutume de dire que, lorsque le feu couve dans la maison du voisin, si vous ne contribuez pas à l’éteindre, il peut se propager chez vous. La guerre est contagieuse. Heureusement, la paix l’est aussi. Mais notre action ne se limite pas aux médiations, si nombreuses soient-elles, à la diplomatie secrète et aux opérations de maintien de la paix [NDLR : le Gabon a déployé des Casques bleus au Burundi et des « Casques blancs » en Centrafrique dans le cadre du contingent de la Cemac, la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale]. Elle passe également par la coopération internationale, car le terrorisme ou la protection de l’environnement sont des questions globales qui ne peuvent être traitées efficacement que dans les enceintes multilatérales. » Les récentes initiatives prises par le Gabon dans le domaine de la protection des forêts du Bassin du fleuve Congo, avec le classement en zone protégée de 12 % du territoire national et la création de 13 parcs naturels, annoncée lors du Sommet de la Terre de Johannesburg, en septembre 2002, illustrent cette volonté de coller à l’agenda international. Et permettent, accessoirement, de marquer des points à Washington, où certains responsables de l’administration américaine, à l’instar de l’ancien secrétaire d’État Colin Powell, très sensibles à ces questions, ont apprécié le geste présidentiel.
Des amitiés bien ordonnées, mais pas exclusives. Et le Gabon, assuré de la compréhension de Paris, n’a pas hésité à tisser des relations avec d’autres partenaires influents. Cette politique de diversification des alliances a historiquement commencé avec le monde arabe. Elle s’est poursuivie avec la Chine, qui est aujourd’hui un partenaire privilégié de Libreville, et avec d’autres pays émergents du Sud, comme le Brésil, la Malaisie, ou encore l’Afrique du Sud. « La mondialisation s’impose à tous et exige une ouverture au reste du monde, une diversification des partenariats, plaide Jean Ping. L’économie chinoise tire la croissance mondiale. Elle absorbe désormais plus de la moitié de nos exportations de bois, une part croissante de notre production de pétrole. Notre sous-sol regorge de matières premières qui intéressent nos amis chinois. C’est pourquoi ils investissent massivement dans l’exploitation de nos gisements de fer ou de manganèse. C’est mutuellement bénéfique. Et on pourrait en dire autant du Brésil. »
La coopération économique entraîne le développement des relations politiques. À moins que ce ne soit l’inverse. Car c’est aussi par le canal de la diplomatie, au sens large, qu’un petit pays africain comme le Gabon peut obtenir de partenaires mieux nantis que lui une assistance en matière de développement. Et c’est également du ressort de la diplomatie de faire connaître le Gabon, de promouvoir son image, ses opportunités d’affaires, sa stabilité politique. Afin, là encore, de séduire les investisseurs. « On ne peut attirer les donateurs et les investisseurs s’il n’y a pas de paix, termine Jean Ping. On en revient toujours à cette vérité triviale : l’argent n’aime pas le bruit des canons. Surtout en Afrique. » Ce sera le mot de la fin.

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