L’épopée d’Epoché

Créée à Turin en 2003, une petite maison a choisi de traduire et de publier des auteurs anglophones et francophones du continent africain.

Publié le 20 novembre 2005 Lecture : 3 minutes.

Epoché : sous ce nom original se cache une toute jeune maison d’édition italienne. Créée à Turin en 2003, elle donne enfin la parole aux auteurs africains. Un projet audacieux dans un pays qui compte déjà près de cinq mille maisons d’édition et où la prose venue d’Afrique est encore trop souvent qualifiée de « pittoresque ».
Pourquoi un tel choix ? Sa directrice éditoriale, Gaia Amaducci – 33 ans et la plus jeune éditrice du pays -, répond sans hésitation : « L’Italie était le seul pays européen à souffrir d’une telle lacune. Aujourd’hui, on commence à découvrir le continent africain, sa culture, sa musique… Sa littérature n’occupe plus une place secondaire dans le marché italien du livre. »
Cette maison a aujourd’hui une politique éditoriale en plein développement et déjà deux collections qui ont fait leurs preuves, en proposant à la fois les grands classiques et les jeunes auteurs africains. La première, et la plus importante : « Toguna » (« la maison des paroles », en langue dogon), consacrée aux auteurs francophones de l’Afrique australe et méditerranéenne avec, depuis peu, une attention particulière portée aux écrivains du Maghreb. Et la collection « Poiesis » (du mot grec qui désigne l’acte de créer) regroupe des ouvrages de poésie et de prose inédits, associés à un projet pouvant dépasser les frontières de la littérature.
« J’aime le mélange des genres culturels, précise Amaducci. Je voudrais que mes livres inspirent d’autres univers artistiques comme le théâtre, la photographie, les arts plastiques… » C’est la meilleure façon, selon l’éditrice, de briser les lieux communs et les préjugés, d’atténuer la profonde méconnaissance qui entoure de mystère la mosaïque africaine, souvent perçue par les lecteurs de la péninsule comme un bloc monolithique.
Après avoir découvert à Paris le roman Les Honneurs perdus, de Calixthe Beyala, Gaia Amaducci, qui se passionne immédiatement pour la prose de l’écrivaine camerounaise, s’étonne et déplore qu’une telle star de la littérature africaine, Grand Prix du roman de l’Académie française en 1996, ne puisse être lue de l’autre côté des Alpes. « Je me suis présentée chez Albin Michel, j’ai expliqué mon projet et j’ai acheté les droits du livre de Beyala avant même la création de ma maison d’édition. » Depuis, la belle Camerounaise a aussi conquis le public de la péninsule.
Tout en avouant un penchant pour les grandes figures de la littérature féminine, « trop longtemps emmurées dans le silence et capables de grandes vérités », Gaia a aussi introduit en Italie quelques-unes des grandes voix masculines. De l’Algérie, avec le poète et auteur dramatique Mohammed Dib, Rachid Boudjedra ou encore Kateb Yacine, au Congo, avec les récits de Sony Labou Tansi et d’Emmanuel Dongala, en passant par la Côte d’Ivoire, décryptée par Ahmadou Kourouma, et la Palestine chantée par le poète Mahmoud Darwich.
Comme toutes les grandes aventures, le développement de cette maison d’édition demande dévouement et sacrifices. C’est en général Gaia Amaducci elle-même qui traduit du français les ouvrages en voie de publication. Un travail qui ne lui laisse pas de répit. Une vocation ? « Disons plutôt le reflet d’un rêve un peu fou, d’un amour immense pour la grande littérature et pour l’Afrique, une sorte de sacerdoce laïc. »
Un amour qui s’est justement construit par l’intermédiaire de la lecture, un amour davantage nourri des récits et descriptions des grands auteurs que de voyages et d’expériences vécues. « Je suis la preuve même que l’on peut découvrir cet immense continent par le biais des mots et s’en faire librement une certaine idée. En cela, je ressemble à la plupart des lecteurs auxquels s’adressent nos livres. »
Les objectifs des fondateurs d’Epoché sont ambitieux. Les collections mettront bientôt à l’affiche la littérature africaine anglophone, des sujets neufs et de nouveaux auteurs. « Je ne veux pas devenir un grand éditeur au sens commercial du terme ni trahir mon rêve, précise Gaia Amaducci. J’entends rester avant tout une exploratrice du monde littéraire, continuer à publier des ouvrages de qualité et sortir de l’ombre, pour un public de plus en plus averti, les thématiques et les beautés secrètes du continent. »

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