La nouvelle vague africaine

Sur les traces de leurs aînées, de jeunes chanteuses rencontrent un vif succès en Europe et aux États-Unis. Et mêlent savamment les rythmes « afro » ou « arabo-berbères » au jazz, reggae, trip-hop et à la soul.

Publié le 20 juillet 2008 Lecture : 5 minutes.

Dans la lignée des Angélique Kidjo, Khadja Nin et, plus récemment, Rokia Traoré (voir encadré p. 72), Souad Massi et Ayo, une nouvelle génération de chanteuses africaines rencontre un vif succès en Europe et aux États-Unis. Leurs concerts font salle comble et leurs disques se font d’or.
Toutes ont moins de 30 ans, alors qu’auparavant les artistes venus d’Afrique ne se faisaient connaître en Europe qu’après de longues années de concerts et de disques produits sur le continent. Elles mêlent instruments traditionnels et rythmes « afro » ou « arabo-berbère » à la soul, au jazz, blues, reggae ou au trip-hop distillant un métissage musical, entre mélopées africaines et cosmopolitisme heureux, qui transgresse les frontières et fait découvrir quelques éclats d’Afrique à des Occidentaux conquis. Talentueuses, créatives, ces jeunes femmes chantent des textes engagés et poursuivent leurs idéaux, sans concession ni orgueil.
Nouvelle étoile de la soul africaine, Asa (« petit faucon » en yorouba) s’est rendue célèbre en 2007 avec l’album qui porte son nom, disque d’or en France. La jeune Nigériane au look adolescent, lunettes strictes et ses écouteurs iPod vissés sur les oreilles, semble quasi imperméable à la frénésie mélomane – et commerciale – que suscite son succès. D’aucuns la comparent à Ayo. Son reggae-soul à la voix rauque et ses ballades acoustiques chantées en anglais ou en yorouba ne sont pas non plus sans évoquer Tracy Chapman et Erykah Badu.
Asa est née à Paris en 1982 mais elle vit à Lagos, où elle a grandi dès l’âge de 2 ans. Et chante l’Afrique avec amour, colère, et toujours l’humour en contrepoint (« Fire on the Mountain », « Mister Jailer »). Avant d’occuper le haut de l’affiche, elle a assuré, dès 2004, les premières parties notamment de Snoop Dogg et de Beyoncé aux États-Unis, et de Femi Kuti et de Manu Dibango, en Europe.
Autre égérie nigériane, mais qui mêle davantage hip-hop, soul, reggae et électro, Nneka a déjà deux albums à son actif. En 2005, Victim of Truth fut d’emblée comparé par le Sunday Times américain à l’excellent The Miseducation of Lauryn Hill – excusez du peu. Et voilà qu’en avril 2008 la jeune métisse – de père nigérian et de mère allemande – a remis ça, avec No Longer at Ease. À tout juste 26 ans, Nneka navigue entre soul épurée et rap énervé (« Material Things », « Halfcast ») loin du bling-bling en vogue. « Heartbeat », aux rythmes saccadés qui rappellent les battements du cur, se fait l’écho d’un attachement viscéral à son pays, que la jeune femme a quitté à l’âge de 18 ans pour suivre ses études en Allemagne.
No Longer at Ease est un disque aux arrangements instrumentaux subtils, composé lors d’une phase d’interrogations sur le Nigeria (« Suffri »). Car ses richesses qui se muent en malédictions, Nneka les connaît bien : elle a grandi à Warri, « la ville du pétrole » dans le delta du Niger. Et quand elle parle de « la corruption qui ravage [son] pays », elle évoque aussitôt le sort de son père, architecte, qui a dû se faire éleveur de poulets. Mais Nneka vante aussi l’énergie créatrice « qui bouillonne à Lagos ». Et enregistre déjà son troisième album.

« Bête de scène »
Autre panafricaine convaincue, l’Ivoirienne Dobet Gnahoré a tout juste 25 ans et déjà une longue carrière. Son premier album, Ano Neko (« Créons ensemble » en bété), paru en 2004, a été suivi en 2007 de Na Afriki. Fille du maître percussionniste Boni Gnahoré, elle a été élevée par sa grand-mère au village avant de rejoindre à Abidjan son père et la troupe de Were-Were Liking, une microcommunauté d’artistes panafricains au sein de laquelle elle apprend les arts de la scène (théâtre, danse, percussions, chant). Une formation qui l’amène à trouver son credo : l’authenticité des origines et le métissage.
Son groupe, qui porte son nom, est aujourd’hui composé d’un Togolais, d’un Tunisien et d’un Français – son époux, Colin Laroche de Féline, rencontré voilà douze ans au sein de la troupe Ki Yi Mbock (à laquelle « Yekiyi » rend hommage). « Bête de scène », Dobet libère une fougue qui met le public à genoux lors de ses concerts. À peine rentrée de deux mois de représentations à travers seize pays d’Afrique, sa tournée l’a emmenée au Brésil puis au Maroc, aux États-Unis et en France. Mi-août, elle se produira en Allemagne, en Italie et au Japon.
Grande admiratrice de Dobet mais davantage encore tournée vers les rythmes traditionnels africains, Mounira Mitchala est apparue comme un jeune espoir en remportant le prix Découvertes RFI 2007 avec son tout premier album, Talou Lena. Tchad en bandoulière et convictions arrêtées, la « panthère douce » revendique la diversité des traditions musicales de son pays, dont elle se fait l’écho. Également titre phare de l’album, Talou lena signifie « Unissons-nous », un message de paix dont elle dit qu’il résume tous les autres titres de son disque.

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Talents bruts
Malgré ses débuts prometteurs, qui laissent augurer d’un avenir musical international, Mounira n’a pas pour autant quitté la « vraie vie » : greffière, elle est responsable du centre de documentation du ministère de la Justice tchadien. Parfait pour une demoiselle éprise d’idéaux et qui n’a qu’un désir, que la paix revienne. « Je suis née en 1979. C’était la guerre. En 2008, la guerre est encore là. Ça suffit », dit-elle excédée.
Des métissages musicaux ont ainsi fleuri partout en Afrique, sans épargner le nord du continent. Hindi Zahra, 28 ans, qui a choisi le jazz auquel elle mêle la musicalité berbère, n’a pas encore produit de disque, mais elle multiplie déjà les concerts. La jeune femme est née à Khouribga, région minière du Maroc, d’un père militaire et d’une mère au foyer. Au foyer peut-être, mais artiste sûrement, sa mère constitue sa première référence musicale. Toute jeune fille, celle-ci faisait du théâtre, chantait et jouait du naqou (claves) dans son village natal. Elle a même failli « monter à Casa » pour y faire carrière. Pour le père, en revanche, « chanter, ça n’est pas un métier ».
Mais l’adolescente s’accroche, prend des cours de chant lyrique, juste le temps de s’apercevoir que l’opéra n’est pas pour elle. Et de retourner à ses premières amours : le jazz. Zahra, qui chante en tamazight, en anglais et en arabe, navigue ainsi entre rock, folk et jazz-blues. Farouchement exigeante, elle sait ce qu’elle veut : « rester indépendante et produire moi-même ». Des pourparlers sont en cours pour la production de son premier album, dont elle a programmé l’enregistrement dans les prochaines semaines. En attendant, elle s’affiche sur Internet via son site Myspace, grâce auquel Fink, du fameux label Ninja Tune, l’a repérée puis fait connaître en Angleterre, où s’est exporté l’un de ses morceaux, « Tango ». Avec « Beautiful Stranger » ou « From Inside to Outside », on se laisse porter par sa voix, chaude et pleine à la fois, et par des mélodies dont les notes continuent de résonner une fois le silence revenu. Talents bruts garantis. À écouter sans modération.

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