Retour d’exode ?

Le nouveau président veut régler rapidement le problème des Négro-Mauritaniens expulsés au Sénégal et au Mali par le régime Ould Taya.

Publié le 20 mai 2007 Lecture : 7 minutes.

C’est une promesse de campagne habile et séduisante, comme tant d’autres. Mais parce qu’elle touche l’une des meurtrissures les plus sensibles de l’histoire mauritanienne récente, personne ne l’a oubliée. À deux jours du second tour de la présidentielle, dans la fièvre d’une conférence de presse qui exhalait déjà un parfum de victoire, Sidi Ould Cheikh Abdallahi s’est engagé à régler « le problème des réfugiés en un an, voire six mois ». En clair, le « président de tous les Mauritaniens », comme il se proclamera au lendemain de son élection, se propose d’organiser le retour au pays des dizaines de milliers de Négro-Mauritaniens expulsés par le régime de Maaouiya Ould Taya entre avril 1989 et janvier 1990.
Depuis dix-huit ans, ces « déguerpis » – terme en vigueur dans l’administration de l’époque -, sont contraints de vivre loin de leurs terres et, parfois, de leurs proches, privés le plus souvent de leurs papiers d’identité, dépossédés de leurs maisons et de leur bétail. Éleveurs peuls dans leur grande majorité, ils se sont établis au Sénégal et, moins nombreux, au Mali. Certains habitent dans des camps provisoires transformés en villages de fortune le long des 600 km de l’axe Saint-Louis/Bakel, dans l’est du Sénégal, ou dans la région de Kayes, à l’ouest du Mali. D’autres, on ne sait trop combien, se sont mélangés à la population locale ou ont continué de mener une existence d’éleveur nomade. Ils ont obtenu le statut de « réfugiés internationaux » et, à en croire leurs (nombreux) porte-parole restés en Mauritanie ou exilés en Europe, aspirent à retrouver la citoyenneté mauritanienne et à retourner vivre dans leur pays dans des conditions décentes.
« Le long du fleuve [qui sépare la Mauritanie du Sénégal, NDLR], vous ne trouvez personne qui écoute la radio sénégalaise », assure Djigo Moussa, un ancien réfugié rentré au pays. Depuis dix-huit ans, ces « gitans de la Mauritanie », comme les qualifie un observateur, attendent une demande de pardon symbolique de Nouakchott. Sans trop y croire jusqu’à la chute, le 3 août 2005, du régime qui les a chassés. Avec un regain d’espoir depuis la démocratisation qui s’est ensuivie. En guise d’excuses, les autorités de l’ancien régime, puis celles de la transition qui s’est achevée avec la présidentielle du 25 mars, se sont contentées de proposer le retour à tous ceux qui le souhaitent. Les réfugiés, qui s’accordent à qualifier le préjudice qu’ils ont subi d’« immense », auraient assurément souhaité davantage. Cheikh Abdallahi, lui, a promis. Solennellement, publiquement, calendrier à l’appui. Il ne peut plus faire marche arrière
Les intéressés lui accordent quelque crédit, ne serait-ce qu’en raison de ses liens dans la communauté noire. Feu Ibrahima Niasse, le grand marabout de Kaolack, au Sénégal, était, par exemple, l’un de ses parents. Le 8 mai, le nouveau chef de l’État a annoncé la création d’une Commission nationale chargée d’organiser leur retour et leur indemnisation, conformément aux doléances de la plupart des associations de défense. « Je crois qu’il est sincère, mais reste à savoir si c’est lui qui dirige vraiment », commente un observateur négro-mauritanien – allusion aux prétendus liens entre le président et une partie des militaires soupçonnés de tirer les ficelles en coulisse. Et réputés hostiles à toute espèce de retour des réfugiés
Bref, la bonne volonté et les bons sentiments ne suffiront pas. « Toute l’affaire a été instrumentalisée par les politiques, regrette un journaliste. Chacun s’est positionné pour ou contre le retour, en méconnaissant complètement les aspects pratiques de la question. » Ces derniers sont pourtant essentiels, comme en témoignent les divergences sur le nombre des réfugiés.
Combien sont-ils ? Près de 20 000 au Sénégal et 6 000 au Mali, à en croire les statistiques 2004 du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR). Respectivement 40 000 et 30 000, « aux dernières nouvelles », estime Fatima M’Baye, la présidente de l’Association mauritanienne des droits de l’homme (AMDH). 80 000 et 15 000, « compte non tenu des décès et des naissances », selon Kaaw Touré, porte-parole de Forces de libération africaines de Mauritanie (Flam), réfugié en Suède. Seule certitude : les réfugiés sont moins nombreux aujourd’hui qu’en 1989 (60 000 au Sénégal et 15 000 au Mali). Certains sont en effet rentrés de leur plein gré à partir de 1992. Cette année-là, Ould Taya avait annoncé une « démocratisation » qui se révélera par la suite une mascarade, tandis que le Sénégal et la Mauritanie renouaient leurs relations diplomatiques. D’autres prirent le chemin du retour en 1996, après que le HCR eut entrepris d’interrompre son assistance, dans le cadre d’un programme de deux ans mis en place par ce même HCR. Pour de nombreux porte-parole de réfugiés, l’organisation onusienne aurait subi des pressions des deux pays pour inciter les réfugiés à rentrer, ce que dément formellement Didier Layé, son représentant à Nouakchott.
Autre divergence, sémantique celle-là, qui témoigne de l’embarras des autorités – et de l’amertume des intéressés. Faut-il parler de « réfugiés » ou de « déportés » ? Les discours officiels manifestent une nette préférence pour la première appellation. « On est allé chercher ces gens chez eux, des villages entiers ont été vidés de leurs habitants, qui ne sont certainement pas partis de leur plein gré », proteste Kaaw Touré, qui, naturellement, penche pour la seconde formule. « Il y a les deux cas de figure, tranche un journaliste négro-mauritanien dont la famille a connu l’exil. La plupart ont été chassés, d’autres les ont rejoints volontairement parce qu’ils ne supportaient plus de vivre dans la terreur en Mauritanie. »
Réfugiés ou déportés, leur identification ne sera pas forcément chose aisée. « On dit qu’avec la découverte du pétrole [dont l’exploitation a commencé en février 2006, NDLR], certains Sénégalais rêvent de venir en Mauritanie », raconte un observateur. « Faux, cette rumeur est orchestrée par les nationalistes arabes hostiles au retour », rétorque un autre. Djigo Moussa s’efforce de recadrer le débat : « La Mauritanie est peu peuplée, tout le monde se connaît, explique-t-il. Il faut associer à l’opération les maires et les notables des villages concernés. Eux savent très bien qui est qui. »
Qu’il s’agisse des Flam, de Flam Rénovation, leur aile « dissidente », dont les membres ont accepté de regagner le pays pendant la transition, ou de l’AMDH, tout le monde est d’accord pour recourir aux « liens sociaux traditionnels », tant pour l’identification des réfugiés que pour l’évaluation du patrimoine dont ils ont été spoliés. « Tout le monde sait bien combien tel ou tel avait de vaches, où il habitait et comment était sa maison », estime un ancien réfugié. Et après ? Comment réparer l’injustice ? Là, les solutions divergent.
« Il est impossible à certains déportés de ne pas vivre sur la terre de leurs ancêtres, soutient Ibrahima Sarr, candidat à la présidentielle et coauteur du Manifeste du Négro-Mauritanien opprimé. L’État a l’obligation d’expulser ceux qui ont pris leur place, puis de les reloger. » Le son de cloche est le même chez les militants de l’AMDH et des Flam. « Il faut identifier des sites fixes et les viabiliser », estime un autre observateur. Le risque est en effet de régler un problème en en créant un autre. Dans les cas où les terres sont devenues propriétés de l’État, la restitution ne devrait pas, en revanche, poser trop de problèmes
Reste l’indemnisation. Chacun la réclame, mais personne n’est d’accord sur les formes qu’elle pourrait prendre. Pour certains, les fonctionnaires – qui ont constitué la première vague de départs – encore en âge de travailler doivent être réintégrés dans leur ancien poste et être dédommagés pour leurs années d’exil forcé. Problème : la fonction publique mauritanienne est déjà pléthorique Pour d’autres, le paiement des arriérés de salaires et de la retraite suffit. Quant aux salariés du privé, Flam Rénovation propose qu’ils soient eux aussi réintégrés. Dans les cas où l’opération se révélerait impossible, l’organisation suggère la mise en place de « programmes de formation ».
Frappées au coin du bon sens, les solutions préconisées pêchent souvent par manque de précision. « Les problèmes techniques, ce n’est pas aux organisations, mais au gouvernement de les régler », plaide Kaaw Touré. Ces « détails » sont pourtant capitaux. Négliger de les régler serait le meilleur moyen de susciter des frustrations. Sur quelle base fixer le montant des indemnités ? L’État a-t-il les moyens de financer le retour de l’ensemble des réfugiés ? « Il s’agit d’aider une population à reconstruire son existence, cela se chiffrera forcément en millions de dollars », annonce Didier Layé, sans plus de précisions. « Ce que nous voulons, c’est d’abord que l’État reconnaisse officiellement ce qu’il a fait, confie un journaliste. Dans notre société, le pardon compte beaucoup. » Même si, comme le dit Ibrahima Sarr, « l’aspect matériel est essentiel ».
D’ordinaire, les bailleurs de fonds participent au financement de telles opérations, surtout lorsqu’elles sont organisées par le HCR. C’est ce qu’appellent de leurs vux tous les intéressés. « Il nous faut un arbitre pour trancher toutes les controverses potentielles », estime l’un d’eux. Les observateurs sont du même avis concernant la future Commission nationale chargée du retour, dont on ignore encore la composition.
Pour le moment, les autorités se refusent à tout commentaire. On peut comprendre leur circonspection : ouvrir cette boîte de Pandore reviendrait à renouer avec les vieux démons de la Mauritanie et prendre le risque que les victimes demandent que justice soit faite.

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