Youssou Ndour
Son dernier album, « Sant Allah », a connu un succès mitigé chez lui, au Sénégal. Le « roi du mbalax » tient une belle revanche avec le Grammy Award qui lui a été décerné le 13 février en Californie.
C’est fait. L’enfant de la griotte Sokhna Mboup et de l’ouvrier Elimane Ndour, né il y a 46 ans dans un quartier populaire de Dakar, vient de se voir décerner la dernière distinction qui lui manquait : le Grammy Award. Après trois nominations sans succès, le très convoité prix californien a été remis le 13 février à Youssou Ndour pour Sant Allah (« Merci à Dieu », en wolof), classé Meilleur album world music, devant les opus de la Béninoise Angélique Kidjo, de la Brésilienne Bebel Gilberto, de l’Espagnol Paco De Lucia et du groupe français Gipsy Kings. L’Afrique est d’ailleurs doublement récompensée, le prix de l’album traditionnel étant revenu au groupe sud-africain Ladysmith Black Mambazo.
Pour la star sénégalaise, le Grammy Award vient compléter un palmarès impressionnant : Prix du festival de Québec en 1992 ; Prix de l’excellence du Japon la même année ; disque d’or en 1994 avec le single « Seven Seconds vendu à 3 millions d’exemplaires ; Meilleure chanson mondiale de l’année aux European MTV Awards en 1995 ; Grammy hollandais la même année ; nomination pour le titre de Meilleur artiste du siècle en 2000…
Ambassadeur de l’Unicef, de la FAO et du BIT, envoyé du Comité international de la Croix-Rouge et du Roll Back Malaria, Youssou Ndour a eu l’honneur d’animer à deux reprises la cérémonie de remise du prix Nobel de la paix à Oslo, et reçu plusieurs distinctions honorifiques des Nations unies.
Lancé sur le marché international en juin 2004 sous le titre Egypt, Sant Allah, qui vient de valoir à l’artiste sénégalais le plus important prix de l’industrie musicale américaine, est un album atypique. Le musicien y chante Dieu, son prophète Mohammed, ainsi que les guides et autres figures des confréries sénégalaises, tant mouride (Cheikh Ahmadou Bamba, Cheikh Ibra Fall) que tidiane (Elhadji Malick Sy, Cheikh Ibrahima Niasse) et layène (Limamou Mahdiyou Laye). La musique, jouée par l’orchestre cairote de Fathy Salama, est à base de sonorités orientales rendues par les kawalas, mizmars, rababas à cordes, derboukas, flûtes et violons arabes. Le tout agrémenté çà et là de notes ouest-africaines secrétées par la kora, le khalam ou le balafon. « J’ai composé ces chansons pour ma consommation personnelle, confie Youssou Ndour. Fan de la diva égyptienne Oum Kalsoum, j’ai voulu faire une musique proche de la sienne, à écouter chez moi en famille après la journée de jeûne, pendant le ramadan. Certains proches m’ont finalement convaincu de mettre le produit sur le marché. Je l’ai retravaillé avec Fathy Salama, que j’ai invité à Dakar et hébergé chez moi pendant deux mois. »
Le résultat, des paroles en wolof sur des mélodies qui ne sont pas sans rappeler celles de l’Égyptien Mohamed Abdel Wahab ou de la Libanaise Fairouz, n’a pas accroché le public sénégalais, que la star a habitué aux rythmes endiablés du « mbalax » local. Une polémique a même éclaté, suscitée par des puritains soutenant que les noms de Dieu et des grands saints ne doivent pas être mêlés à des choses aussi profanes. Les clips tournés sur les titres de l’album ont été interdits d’antenne à la télévision sénégalaise. Motif ? Des petits-fils de Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur de la confrérie des mourides, se sont opposés à la diffusion d’images prises aux alentours de la mosquée de Touba. « Il s’agissait de simples malentendus, commente aujourd’hui Youssou Ndour. J’ai obtenu l’approbation de mon marabout, Serigne Mourtada Mbacké, avant de sortir l’album Sant Allah. Quand certains membres de la famille de Serigne Touba ont protesté, nous avons supprimé les séquences qui dérangeaient. Les clips vont d’ailleurs être diffusés par la télévision sénégalaise avant la fin de février. »
Si, pour une fois, le « roi du mbalax » n’a pas été prophète en son pays, son album a connu un très grand succès à l’étranger, avec près de 400 000 exemplaires écoulés en Europe et en Amérique.
Le destin de Youssou Ndour est ainsi fait. Nul n’attendait ce Sénégalais frêle et longiligne, parti de rien, au firmament de la musique mondiale. À commencer par son père, un geer (« noble ») qui voulait qu’il aille le plus loin possible dans les études. Influencé par son ascendance maternelle gawlo (« griotte »), Youssou affiche très tôt son goût pour la chanson. Se soustrayant à l’autorité paternelle, il s’échappe souvent du
quartier populaire de Médina pour se réfugier à la « rue 22 angle 31 » chez sa grand-mère maternelle Marie Sène, détentrice du gnaadio, ce talisman que, dans la tradition gawlo, on glisse au cou du nouveau marié ou du circoncis pour leur attirer, en chantant, la bénédiction des dieux.
Youssou persiste, abandonne les études au niveau de la première année du collège, en 1973, se lance dans le chant traditionnel au sein d’une petite troupe théâtrale (Sine Dramatique) avant d’intégrer l’orchestre Diamono, de Charles Diop, où il interprète en 1975, à Saint-Louis, « Mba », son premier tube. Ibra Kassé, le père de la musique sénégalaise moderne, tombe sous
son charme et le recrute dans son orchestre, le Star Band. Youssou se retrouve à l’Étoile de Dakar en 1978 avant de former, à 22 ans, son propre groupe, le Super Étoile. Jimmy Mbaye, Assane Thiam, Pape Omar Ngom… le suivent dans cette aventure qui dure jusqu’à ce jour.
Un quart de siècle plus tard, « l’enfant de la Médina » a gravi tous les échelons de la world music, au gré de rencontres qui ont donné autant de coups de fouet à sa carrière. En 1983, il fait la connaissance du rocker anglais Peter Gabriel, qui le fera chanter quatre ans après dans son album So, dont la promotion se fera à travers plus de 150 concerts un peu partout dans le monde. En 1989, associé à la tournée mondiale organisée par Amnesty International et baptisée Human Rights Now, il chante au stade de Wembley aux côtés de Tracy Chapman, Peter Gabriel, Bruce Springsteen…
Youssou fait produire The Lion et Set par Virgin, puis, en 1992, par Sony, Eyes Open nominé aux Grammy Awards.
Les succès s’enchaînent et, deux ans plus tard, son duo « Seven Seconds » avec Neneh Cherry devient disque d’or. Sa chanson « La Cour des grands », qu’il interprète avec l’artiste belge Axelle Red, est choisie en 1998 comme hymne de la Coupe du monde de football en France.
Malgré cette ascension prodigieuse, Youssou Ndour conserve ses repères et se garde de toute extravagance. Il construit un groupe qui emploie aujourd’hui quelque 130 personnes et comprend une usine de duplication de cassettes, un studio d’enregistrement high-tech, un label musical (Jololi), un night-club (le Thiossane), des biens immobiliers à Dakar, Paris et Londres… Sans oublier un groupe de presse, Futurs Médias, lancé le 1er septembre 2003 et associant une radio (RFM) et un quotidien (L’Observateur).
L’homme qui remplit les plus grandes salles du monde (de Central Park à New York à Alexandra Palace à Londres, en passant par Bercy à Paris) vit sans caprice de star dans une maison du quartier huppé de Fann-Résidence à Dakar. Il tient totalement à l’abri des projecteurs Manacoro Kamara, de père d’origine malienne et de mère saint-louisienne, qu’il a épousée en 1990, ainsi que Sokhna, Ségui, Abdoulaye et Vénus, leurs quatre enfants. Amateur de football, il passe des heures à regarder des matchs sur l’écran géant fixé au mur de son spacieux et somptueux salon.
Débordant de gaieté avec ses intimes, Youssou a une âme d’enfant. Pour retourner un peu de ce que la vie lui a donné, il s’investit dans l’humanitaire. Son dernier combat ? Le programme onusien « Faire reculer le paludisme », dans le cadre duquel il réunira les vedettes de la musique africaine à Dakar, les 12 et 13 mars. Le concert mettra à profit la présence des grands médias internationaux pour sonner une mobilisation mondiale contre la maladie.
Son implication dans la vie sociale sénégalaise est permanente, qu’il s’agisse d’évoquer le sort des travailleurs émigrés ou de militer pour l’hygiène publique.
S’il ne s’est jamais engagé directement en politique, Youssou n’hésite pas à afficher sa sympathie pour Abdoulaye Wade. Le président du Sénégal le lui rend bien. Dans sa lettre de félicitations datée du 16 février, le chef de l’État écrit : « Je vous encourage à aller de l’avant dans cette quête permanente de l’excellence, source de motivation pour la jeunesse de notre pays. »
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