Nous sommes tous des Togolais

Publié le 20 février 2005 Lecture : 3 minutes.

Aujourd’hui, Lomé est la capitale de toute l’Afrique. Le coup d’État perpétré par l’armée togolaise a, en un quart de tour, installé Faure Gnassingbé, au pouvoir. Se répète une fois encore ce qui emplit le calendrier des espoirs avortés des populations africaines depuis l’accession de leurs pays à l’indépendance. En modifiant la Constitution de leur pays et ce, de surcroît, un dimanche, les députés du parti du président défunt, majoritaire à l’Assemblée, ont montré au monde ébahi ce qu’ils font depuis toujours. Ils piétinent la volonté des populations qu’ils sont censés représenter et méprisent les lois qu’ils ont eux-mêmes votées. Nous voici face à une succession héréditaire à l’intérieur d’une république, comme celle de Joseph Kabila au Congo-Kinshasa, enfonçant ainsi les racines d’un principe dynastique applicable en Libye, en Égypte, mais aussi au Gabon et même au Cameroun. Ce qui se joue dans ce pays, petite virgule au flanc de l’Afrique de l’Ouest, est une préface à l’histoire de tout le continent et oblige à prendre, dès maintenant, quelques décisions de principe.
Le plus urgent est la reconnaissance du caractère sacré des Constitutions que nos peuples se sont données. Non qu’elles soient parfaites, mais elles promettent des changements réels. Elles sont la barrière qui nous protège de la barbarie, elles garantissent la paix. Le cas togolais devra faire jurisprudence. Mais comment dire, ensuite, aux Ivoiriens que la solution de leur crise est avant tout politique et qu’ils ne doivent pas modifier leur Loi fondamentale par référendum mais par décret ?…
Si les Togolais sont moins nombreux que les Ukrainiens ou les Géorgiens à défiler dans les rues, c’est qu’ils sont pris en otage. Ils comptent sur la main de l’extérieur, qui a su rompre plusieurs fois l’échine des dictatures. S’ils ouvrent leurs magasins quand l’opposition leur demande de les fermer, c’est parce qu’il faut survivre. Pour une fois, leur silence n’a pas été lu comme une approbation. L’Union africaine et la Cedeao se sont mises à leurs côtés, entraînant l’Union européenne avec elles et même les États-Unis. Pour la première fois de son histoire, l’Organisation internationale de la Francophonie a suspendu un de ses membres, comme le Commonwealth l’avait fait jadis avec le Zimbabwe. On peut simplement se demander ce qui se passerait si, comme Robert Mugabe en son temps, Faure Gnassingbé venait à être reçu à l’Élysée par Jacques Chirac.
Aujourd’hui, nous sommes tous des Togolais. Nous nous sentons tous humiliés par un pouvoir usurpé qui a érigé le fait accompli en véritable politique et pour qui chaque journée passée est une journée gagnée. Comment se réjouir d’entendre la France, par la bouche de son ministre de la Coopération, Xavier Darcos, dire qu’elle « vérifiera la tenue des promesses » d’élections générales, faites par un Faure Gnassingbé que rien n’autorise à promettre quoi que ce soit ?
Soutenir le peuple togolais en ce moment de son histoire n’est pas un acte de démagogie, car le mot « fin » n’est pas encore écrit au bas de la page. Gnassingbé Eyadéma, après quatre décennies de pouvoir, aura peut-être des obsèques grandioses et les chefs d’État d’Afrique et du monde y seront invités. Assisterons-nous au dernier acte du coup d’État ? Pour Faure Gnassingbé, recevoir le président français aux obsèques de son « ami personnel » sera une vraie consécration politique ! La France aura-t-elle le courage de marquer le début de la fin de la néfaste Françafrique en refusant de se rendre aux funérailles ?
Mais Lomé est avant tout notre capitale à nous, Togolais. La pluie des condamnations n’aura de force que si tous nous disons « non », de la manière la plus véhémente, partout où notre voix peut porter, à la danse macabre qui s’y déroule. L’écho de ce « non » ébranlera le monde. Notre avenir en dépend.
Washington, DC, le 11 février 2005

* Patrice Nganang, Camerounais, est écrivain, auteur de Temps de chien (Grand Prix littéraire d’Afrique noire 2002 et Prix Marguerite-Yourcenar 2001). Dernier livre paru : L’Invention du beau regard, Gallimard 2005.

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