Fin de bail à Gaza
Cinquante-neuf voix pour – les travaillistes, le centre-droit laïc du Shinoui et 18 membres du Likoud -, 40 contre – l’extrême droite, les partis religieux et 17 membres du Likoud – et quelques abstentions, parmi lesquelles les députés arabes-israéliens : le Parlement de Jérusalem a adopté, le 16 février, la loi d’indemnisation des 8 000 colons juifs appelés à être évacués cet été de 21 implantations de la bande de Gaza et de 4 petites colonies du nord de la Cisjordanie.
Les députés, harcelés par une nuée d’avocats jusque dans les couloirs de la Knesset, ont mis deux jours à rejeter des centaines d’amendements avant de réussir à se prononcer sur les 185 paragraphes prévus pour fixer le montant des compensations offertes. La loi prendra en compte aussi bien l’ancienneté sur place des propriétaires ou locataires expropriés que le nombre de leurs enfants, la superficie des propriétés, le coût du déménagement et du relogement, le montant des revenus tirés des emplois perdus, le dommage moral subi, voire l’éventualité de mises à la retraite anticipées…
Résultat : chaque famille de colons devrait toucher près de 400 000 dollars en moyenne pour mettre fin à un séjour d’une dizaine d’années dans une maison sans charme plantée parmi des dunes pelées. Une « prime de consolation » qui a de quoi faire rêver les Palestiniens des villes voisines de Beit Lahiya et de Beit Hanoun, plus habitués à être chassés de chez eux par les bulldozers de Tsahal que déplacés dans des conditions aussi favorables. Du coup, la dépense globale que vont supporter les Israéliens crève le plafond initialement prévu : le chèque promis par les Américains ne sera pas de trop pour aider Sharon à faire passer son budget.
Et pourtant, loin de susciter la reconnaissance des intéressés, le vote de cette loi a déclenché une véritable hystérie dans le camp de ses opposants. Les colons, arborant des étoiles… orange, en appellent à Dieu, comparant leur sort à celui des juifs expulsés d’Espagne au XVe siècle. Il a fallu l’intervention, très ferme, du président du Mémorial de l’Holocauste pour faire taire des allusions encore plus douteuses aux déportations de l’Allemagne nazie. Au-delà des mots, la sécurité rapprochée d’Ariel Sharon et des membres de son cabinet a été encore renforcée après que des extrémistes eurent juré de leur faire connaître le sort d’Itzhak Rabin, le Premier ministre assassiné. Enfin, le chef d’état-major, Moshe Yaalon, a vu « son mandat prendre fin » et a été brutalement remplacé par le ministre de la Défense Shaul Mofaz à la tête de l’armée. La cause de cette disgrâce : les hésitations manifestées par Yaalon quant à la nécessité de décréter, le 15 août prochain, la bande de Gaza « zone militaire fermée » afin d’en expulser manu militari les colons récalcitrants.
Ce mauvais mélodrame entrecoupé de recours en justice et de marchandages ne doit pas masquer l’importance historique de l’événement. Pour la première fois, les Israéliens se sont donné les moyens de dégager la route de la paix de ces « pierres angulaires du nationalisme juif » que sont les colonies. Il leur reste encore à s’assurer, s’ils veulent résoudre le problème posé par les implantations, que les « partants » ne seront pas autorisés à créer de nouvelles implantations avec l’argent de leurs indemnités… Et à faire en sorte que les échanges territoriaux en cours pour déterminer le nouveau tracé du mur débouchent sur des arrangements permanents.
Ainsi, au terme du processus initié par le vote de la Knesset, on n’assisterait certes ni à l’apocalypse dénoncée par les ultras de Tel-Aviv ni à l’essor de cette « dynamique commune dans les deux populations » que Théo Klein appelle de ses voeux, mais à la mise en oeuvre d’une politique pragmatique. Le chercheur israélien Eytan Ellenberg la résume dans ces termes : « Israël souhaite se débarrasser du problème palestinien en évacuant quelques territoires et en érigeant une barrière. Dont acte. Les Palestiniens souhaitent désormais gérer quelques-uns de leurs territoires autonomes. Soit. »
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