De Cervantès à Molière
Pour Juan Bautista Osubita, qui vient de passer cinq ans à la tête de la direction générale de la Francophonie, le bilan est clair : « La Guinée équatoriale est un des rares cas de bilinguisme institutionnel réussi », nous a-t-il déclaré dans son bureau situé à quelques encablures du ministère des Affaires étrangères.
Bilinguisme institutionnel ? Sans aucun doute. Car c’est bien au sommet de l’État qu’a été prise, en 1983, la décision d’adhérer à l’Udeac, l’Union douanière et économique de l’Afrique centrale. Celle-ci se transformera ultérieurement en Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale, plus connue sous l’acronyme de Cemac, qui regroupe l’ensemble des pays d’Afrique centrale francophone « ayant le CFA en partage », c’est-à-dire – outre la Guinée équatoriale – le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, le Gabon et le Tchad. Après plusieurs décennies de colonisation franquiste et onze ans d’un régime sanguinaire qui avait pour modèles la Corée du Nord, la Chine communiste et le Cambodge de Pol Pot, ce fut comme un retour à la vie. La fin de l’autarcie.
En 1985, le pays intègre la zone franc et abandonne définitivement son ancienne monnaie, l’ekwele. Seuls hispanophones au sein de ce « club » francophone, les représentants équatoguinéens doivent alors s’atteler à l’apprentissage du français. Sur le conseil personnel de François Mitterrand, le président Obiang Nguema lui-même s’y met. Non sans succès d’ailleurs, puisqu’il est désormais capable de s’exprimer dans cette langue à l’occasion d’une interview ou d’un voyage à Paris. En 1989, le président Obiang Nguema fait son entrée à la Conférence des chefs d’État de la Francophonie. En 1993, le français est déclaré « langue de travail » et, cinq ans plus tard, élevé au rang de « langue officielle de la République ». En plus de l’espagnol bien sûr. Voilà pour le bilinguisme institutionnel qui, comme on peut le voir, s’est imposé.
Pour le reste, en ce qui concerne l’accès du citoyen lambda à cette autre langue officielle, il est trop tôt pour parler de réussite. Car une chose est sûre : il sera beaucoup plus difficile d’augmenter le nombre de francophones dans les quartiers de Bata et de Malabo, pour ne parler que des villes, que dans les couloirs de la haute administration. Alors que l’éducation nationale manque cruellement de locaux, de manuels scolaires et même de professeurs, alors qu’il y a dix fois moins d’élèves dans le secondaire que dans le primaire, on voit mal comment l’institution scolaire pourrait se charger, comme cela lui a été demandé, d’enseigner la langue de Molière, en plus de celle de Cervantès, dans les petites classes. Et quand on sait que dans ce pays hispanophone un projet d’enseignement de l’usage « correct » de l’espagnol est à l’étude, on a une idée du chemin qui reste à parcourir pour que l’emploi du français, lui aussi, progresse.
Le désir de francophonie est louable, certes, il est même utile à l’intégration du pays dans la sous-région, mais il serait plus louable encore que l’État accorde les moyens nécessaires au système éducatif pour améliorer, d’abord en espagnol, le niveau général de l’enseignement. D’autant qu’il en a les moyens. Cet objectif d’éducation figure d’ailleurs en tête des missions que s’est fixées l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), dont la Guinée équatoriale est membre, lors du sommet de Ouagadougou en novembre dernier. Tout comme l’OIF s’est engagée à lutter contre l’analphabétisme, à favoriser la multiplicité culturelle, à promouvoir la bonne gouvernance, la démocratie, la participation de la société civile à la vie nationale, et le respect des droits de l’homme.
Reste à souhaiter que la volonté politique manifestée par ce pays en matière de francophonie linguistique se traduise par une véritable ouverture politique et culturelle de la société équatoguinéenne. Et que la Francophonie avec un grand « F » permette, à terme, à la population de pratiquer la francophonie avec un petit « f ». Avant que la ruée vers l’or noir orchestrée par les pétroliers texans ne conduise les Équatoguinéens à opter définitivement pour l’American way of life.
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