Chagrin de famille
Il en a fait beaucoup, trop sans doute, pour que l’affliction ne soit pas, quelque part, sincère. Lorsqu’il apprend, le 14 février, en fin de matinée, que son ami Rafic Hariri vient d’être assassiné, Jacques Chirac annule un déjeuner officiel et s’enferme dans son bureau de l’Élysée pour téléphoner à l’épouse et aux enfants du défunt. Puis il prend sa décision : en dépit de l’avis de quelques proches, qui lui déconseillent de mettre le nez dans la poudrière libanaise, il ira à Beyrouth présenter ses condoléances et se recueillir devant le cercueil de l’ancien Premier ministre. Le mercredi 16 au matin, lors du Conseil des ministres, le président arbore une cravate noire. Une heure plus tard, il s’envole pour le Liban. Accompagné de son épouse Bernadette, Chirac refuse tout accueil officiel. C’est la famille de Rafic Hariri, et en tout premier lieu sa veuve Nazek (ci-dessus entourée du couple présidentiel), qui l’accueille et le raccompagne à l’aéroport.
Certes, ce serait mal connaître Jaques Chirac que de croire en l’absence de tout calcul politique. Ce geste fort plaît aux Libanais, à l’opinion française, qui aime le panache, et aux Américains, qui voient en lui un allié dans leur travail d’isolement de la Syrie. Mais n’y voir que cela serait également se tromper. Chirac avait fait la connaissance de Rafic Hariri il y a une vingtaine d’années lorsque celui qui était alors un homme d’affaires prospère ayant fait fortune en Arabie saoudite fut chargé par le gouverneur de Riyad, le prince Salman, d’organiser une exposition à Paris. Jacques Chirac, maire de la capitale, le reçut à l’Hôtel de Ville. Les liens de tous ordres qui se sont tissés entre eux ont depuis résisté à toutes les traversées du désert. On ne compte plus les rencontres et dîners privés entre les deux hommes, puis entre les deux couples, à Beyrouth, mais surtout à Paris, où Nazek Hariri vivait le plus clair de son temps. En 1996, lorsque Chirac fit sa petite Intifada à Jérusalem en se heurtant à la sécurité israélienne sous l’oeil des caméras, Hariri fut le premier à lui décerner le label de « héros arabe ». À Beyrouth, le 16 février, le président français a qualifié son ami de « martyr du Liban ». Juste retour des choses, même s’il se serait bien passé de cette oraison.
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