Tchad : un Cobra très discret
Après un premier bilan encourageant, l’opération anticorruption lancée en mai 2012 pour tordre le cou aux mauvaises habitudes semble mise en sourdine.
Las de l’enrichissement illicite, le Tchad lui a déclaré la guerre. Au mois de mai 2012, les autorités ont lancé une vaste opération anticorruption, baptisée Cobra. Les pertes de l’État dues aux détournements d’argent public étaient estimées à plus de 300 milliards de F CFA (près de 460 millions d’euros) par an. L’objectif affiché est ambitieux : sécurisation des circuits de recettes et de dépenses, contrôle des procédures de préparation, de passation et d’exécution des marchés publics.
Le ministère de l’Assainissement public et de la Promotion de la bonne gouvernance a remplacé celui du Contrôle général d’État et de la Moralisation, créé en juillet 2004, et plusieurs agences et comités ad hoc ont été créés, dont la fameuse Agence nationale d’investigation financière (Anif). « Cette mesure dénote une bonne volonté politique, mais sa mise en oeuvre pose des problèmes, nuance Antoine Doudjidingao, responsable du département socioéconomique au sein du Groupe de recherches alternatives et de monitoring du projet pétrole Tchad-Cameroun (Gramp-TC). Certes, on a recouvré de l’argent, mais on aurait pu faire davantage. À N’Djamena, de gros poissons n’ont jamais été inquiétés. »
Fin novembre 2012, le ministre de l’Assainissement public et de la Promotion de la bonne gouvernance d’alors, Abdoulaye Sabre Fadoul (il cumulait ce portefeuille avec celui de la Justice), a présenté à la presse le premier bilan de l’opération Cobra. Après 23 missions de contrôle (portant sur des administrations, régies, projets, programmes publics et sur des sociétés d’État et d’économie mixte) effectuées à N’Djamena et 22 en province, près de 25 milliards de F CFA ont été recouvrés. Le ministère a déposé plus de dix plaintes, pour lesquelles 107 personnes sont susceptibles d’être poursuivies et 37 au moins ont été inculpées.
Mais l’opération est la cible de critiques récurrentes. Sur son opacité, d’abord. Les noms des personnes incriminées n’ont pas été dévoilés. Au Tchad, des affaires mettant en cause des personnalités éclatent régulièrement : comment déterminer celles entrant dans le cadre de l’opération Cobra ?
Chasse à l’homme
D’autre part, Idriss Déby Itno est accusé de profiter de l’opération pour écarter des personnalités jugées gênantes. « Cela n’a rien à voir avec la politique politicienne ni avec une quelconque chasse à l’homme, répondait le chef de l’État à J.A. en juillet 2012. Et je suis logique avec moi-même : nul n’est à l’abri, nul n’est couvert, y compris mes proches, mes amis et mes collaborateurs. » D’ailleurs, il a limogé en février 2012 Ahmadaye al-Hassan, ministre chargé de la lutte contre la corruption, qui a été inculpé quelques jours après pour faux, usage de faux et détournements de deniers publics. « Il n’y a généralement pas d’effet de dissuasion, puisque les personnes remerciées finissent bien souvent par réintégrer leurs fonctions », nuance Doudjidingao.
Aujourd’hui, l’opération Cobra fait moins parler d’elle. Ses résultats n’étant pas régulièrement publiés, d’aucuns se demandent si elle ne s’est pas essoufflée. Les prochaines étapes ont pourtant été annoncées : extension des missions de contrôle aux chancelleries tchadiennes à l’étranger et mise en place de comités d’éthique dans les départements ministériels. Ancien inspecteur au ministère de l’Assainissement public et de la Promotion de la bonne gouvernance, Hinsou Hara a hérité du portefeuille dans le gouvernement formé en janvier par Joseph Djimrangar Dadnadji. C’est désormais à lui de relever ces défis.
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