Le Tchad dix ans après les premiers barils de pétrole
Les recettes pétrolières ont évidemment changé la donne et permettent au pays de s’équiper. Même si, en matière de redistribution et de réduction de la pauvreté, il reste fort à faire.
«Le développement de l’industrie du pétrole bénéficiera à l’ensemble de la nation tchadienne. » C’est l’engagement pris par le président, Idriss Déby Itno, en octobre 2003 lors de l’inauguration de l’oléoduc Tchad-Cameroun. Financé par la Banque mondiale et un consortium formé par les pétroliers ExxonMobil, Chevron et Petronas, pour un montant total de 4,2 milliards de dollars (3,6 milliards d’euros), ce pipeline a définitivement fait du Tchad un exportateur d’or noir. Depuis, près de dix ans se sont écoulés, quelques centaines de millions de barils ont été pompés du sous-sol du pays. Et, à la faveur d’une bonne tenue des cours internationaux de l’or noir, plus de 10 milliards de dollars ont été engrangés entre 2004 et 2012, selon les chiffres publiés dans le cadre de l’Initiative pour la transparence des industries extractives (lire p. 85).
De quoi transformer l’économie du pays, devenu en l’espace de quelques années un chantier à ciel ouvert. Le budget de l’État, qui a presque quadruplé entre 2002 et 2012 – passant de 390 milliards à 1 500 milliards de F CFA (de 595 millions à 2,3 milliards d’euros) -, met ainsi l’accent sur le développement des infrastructures.
Le secteur a rapporté plus de 10 milliards de dollars entre 2004 et 2012.
Ambitieux
Au début de l’année dernière, lorsqu’il était ministre des Infrastructures, Adoum Younousmi indiquait : « le réseau routier bitumé du pays est passé de 300 km à plus de 2 000 km en dix ans. Deux mille salles de classe ont été construites tous les ans à travers le pays. » À cela, il faut ajouter une dizaine d’établissements universitaires et une vingtaine d’hôpitaux. Gilbert Maoundonodji, fondateur du Groupe de recherches alternatives et de monitoring du projet pétrole Tchad-Cameroun (Gramp-TC), qui étudie les impacts environnementaux, sociaux et économiques de l’exploitation pétrolière, confirme : « Depuis cinq ans, de nouvelles infrastructures routières, éducatives, sanitaires et sociales sortent de terre. »
Si le développement de ces équipements est nécessaire à une croissance soutenue, le Fonds monétaire international (FMI) a indiqué en 2011 : « Le Tchad a adopté une politique budgétaire expansionniste mettant à rude épreuve la capacité d’absorption de l’économie et la capacité de gestion des finances publiques de l’administration (en particulier en matière de passation des marchés). » Mais les autorités ne cessent de multiplier les projets. Parmi les plus ambitieux, la construction dès cette année d’une cité internationale des affaires à N’Djamena, la capitale. Présentée en septembre 2012 à Naples dans le cadre du Forum urbain mondial par Idriss Déby Itno lui-même, cette cité s’étendra sur près de 30 ha, regroupera un centre commercial, un Palais des congrès, un parc des expositions, un hôtel de luxe ainsi que trois imposantes tours qui abriteront le ministère de l’Énergie, la Société des hydrocarbures du Tchad (SHT) et le futur Centre africain des technologies de l’information (Cati). Montant de l’investissement : 235 milliards de F CFA, essentiellement financés par les revenus pétroliers.
Raffinage : on roule enfin local
À N’Djamena, les pénuries de carburant ne sont désormais plus qu’un mauvais souvenir. Le temps où il était importé des pays voisins (Cameroun et Nigeria) semble aussi être révolu. Producteur de brut depuis 2003, le Tchad s’efforce d’acquérir définitivement son indépendance dans le domaine des produits raffinés, et même de devenir exportateur net. Certes, fin 2012, les prix à la pompe ont augmenté : de 520 à 525 F CFA (0,80 euro) le litre pour le diesel et de 380 à 480 F CFA pour l’essence. Mais la Société de raffinage de N’Djamena (SRN) assure l’approvisionnement du marché local grâce à une production de 14 000 barils/jour, couvrant largement la demande nationale.
Inaugurée en juin 2011 à Djermaya, la SRN est détenue à 40 % par l’État et à 60 % par son partenaire chinois CNPC, qui exploite en outre les gisements de Bongor (Sud-Ouest) alimentant la raffinerie. Début 2012, en raison d’un désaccord entre le gouvernement et CNPC sur la fixation des prix, le site a fermé à plusieurs reprises, provoquant de graves pénuries. Mais les deux parties ont trouvé un terrain d’entente pour rentabiliser leur investissement commun de 450 millions d’euros. Elles ont équilibré les rapports de force dans la gestion de la raffinerie – la direction générale est confiée à un Chinois, avec un adjoint tchadien – et se sont engagées à garantir des stocks pour la demande nationale et à trouver les moyens d’exporter l’excédent de production. Dans ce dernier domaine, un premier accord a été conclu en mai 2012 avec la Centrafrique voisine. Reste à conquérir de nouveaux marchés. S.B.
S’il est évident que le Tchad doit, comme la majorité des pays africains, rattraper son déficit en infrastructures, Gilbert Maoundonodji estime que « nombre de chantiers mobilisent des investissements totalement disproportionnés ». Depuis 2006, date à laquelle N’Djamena a mis un terme au contrôle de ses revenus pétroliers par la Banque mondiale (selon les termes d’un accord, le pays était tenu d’en bloquer 10 % sur un compte « au profit des générations futures »), nombreux sont les détracteurs du Palais rose qui estiment que cette manne est mal répartie. Fin janvier 2012, l’ONG française CCFD-Terre solidaire a, par exemple, publié un rapport dans lequel elle indique qu’une grande partie des recettes pétrolières a financé l’acquisition d’armes. Notamment entre 2004 et 2008 quand le pays a été confronté à une série de rébellions. « Ainsi, les dépenses militaires sont passées de 35,4 milliards à 275,7 milliards de F CFA » sur cette période, écrivent les auteurs, qui relèvent qu’elles s’élevaient encore à 154,5 milliards de F CFA en 2010. En 2011, le FMI avait ainsi fait remarquer : « L’enveloppe budgétaire annuelle allouée aux dépenses de sécurité a été consommée dans sa quasi-totalité tandis que l’exécution des dépenses consacrées à la santé, à l’éducation et à d’autres priorités sociales est en retrait. »
Depuis cinq ans, les infrastructures routières, éducatives, sanitaires et sociales sortent enfin de terre.
Pharaoniques
Certes le produit intérieur brut (PIB) du pays est passé de près de 1 600 milliards de F CFA en 2003 à environ 4 800 milliards de F CFA en 2011, mais le taux de pauvreté a, en effet, très peu reculé, et le pays n’est que 183e sur 187 États classés par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) dans son rapport sur l’indice de développement humain (IDH). La région de Doba, principale zone d’exploitation pétrolière, reste l’une des plus pauvres du pays selon de nombreux observateurs.
Dans une étude notamment sponsorisée par Swissaid, la Commission permanente pétrole locale (CPPL) soutient que cette région a pourtant bénéficié d’une allocation équivalant à 5 % des revenus pétroliers comme le prévoit la loi. Reste que sur ces fonds, qui ont servi à la réalisation de grands travaux publics (construction des hôpitaux de district, de marchés modernes, de gares routières et d’écoles) et au financement du microcrédit, « tout n’a pas été investi avec autant d’efficacité », selon l’étude, qui soulève aussi des problèmes de gouvernance et de corruption. De fait, le document signale par exemple « des dépenses pharaoniques (stade), des coûts unitaires très élevés pour les bâtiments scolaires et sanitaires qui manquent parfois de moyens humains et matériels pour fonctionner, une concentration dans les villes et les chefs-lieux de départements aux dépens des populations rurales ». Autant dire que les défis à relever pour que la manne pétrolière profite à l’ensemble des Tchadiens restent grands. Surtout que la production, actuellement d’environ 120 000 barils/jour (b/j), décline depuis 2005, où elle avait atteint son niveau record, avec 173 000 b/j.
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