Suisse : accident de parachute (doré)

L’interdiction des rémunérations mirobolantes versées aux grands patrons a été adoptée par référendum à une large majorité.

La

La

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 15 mars 2013 Lecture : 3 minutes.

C’est une révolution que la très libérale Confédération helvétique a déclenchée, le 3 mars, en votant à 67,9 % en faveur d’une « initiative contre les rémunérations abusives » de ses chefs d’entreprise. Cette « votation populaire » fait obligation au gouvernement d’inscrire en 2014 dans la Constitution l’interdiction faite aux grands patrons de « se sucrer ». Autrement dit de s’octroyer salaires mirobolants, parachutes dorés, primes de bienvenue ou retraites chapeaux.

L’origine de cette décision remonte à 2001, quand Swissair, la compagnie aérienne nationale, au bord du dépôt de bilan, débauche un cadre de Nestlé, un certain Mario Conti. Pour le convaincre de venir la sauver, Swissair lui offre une prime « de bienvenue » (ou golden hello) de 10 millions d’euros. Rien n’y fait : six mois plus tard, la faillite est consommée.

la suite après cette publicité

Parmi les fournisseurs qui ne peuvent plus récupérer leurs créances sur Swissair figure Trybol, fabricant de dentifrice et de cosmétiques dans le canton de Schaffhouse. Thomas Minder, son patron, s’étouffe de colère en découvrant le pactole versé à Conti. Et décide de partir en guerre contre les rémunérations « self-service » dont bénéficient nombre de dirigeants suisses.

Magouilles

Élu sénateur, Minder sillonne le pays et finit par recueillir les 100 000 signatures requises pour la tenue d’un référendum, afin d’en finir avec des pratiques qu’il qualifie de « magouilles ». Nous sommes en 2008. Le patronat s’empresse d’engager une campagne de com’ (coût : 8 millions d’euros) pour convaincre les Suisses que l’opération aura pour seul résultat de faire fuir à l’étranger entreprises et emplois.

Vasella annonce qu’il quitte la direction de Novartis. Avec un joli pactole : 72 millions d’euros.

la suite après cette publicité

Mais, au début de cette année, un nouvel exemple des « magouilles » dénoncées par Thomas Minder révulse l’opinion. Patron le plus célèbre et le mieux payé de Suisse, Daniel Vasella annonce qu’il quitte la direction du géant pharmaceutique Novartis avec un parachute doré de 72 millions d’euros. Le tollé est tel qu’il est obligé d’y renoncer, mais le mal est fait : le patronat a perdu.

Le texte voté le 3 mars oblige les assemblées générales d’actionnaires des sociétés suisses cotées en Bourse à voter chaque année la rémunération des membres de leur conseil d’administration et de leurs dirigeants. Les primes d’arrivée ou de départ, de même que celles versées lors de l’achat ou de la vente d’une entreprise, sont interdites. Les contrevenants s’exposent à une peine de trois ans d’emprisonnement et à une amende dont le montant peut atteindre jusqu’à six ans de leur salaire.

la suite après cette publicité

Cupidité

Cette transparence inédite au pays du secret bancaire a été aussitôt applaudie à Bruxelles, où le porte-parole de Michel Barnier, le commissaire européen au Marché intérieur et aux Services, a jugé ce vote « important ». À Berlin, le porte-parole du gouvernement l’a pour sa part estimé « intéressant ». Même son de cloche à Paris, où Jean-Marc Ayrault, le Premier ministre, a estimé qu’avec cette « excellente expérience démocratique » les Suisses « montrent la voie ». Il est donc partisan de « s’en inspirer ».

Avec la limitation des bonus des banquiers en discussion au sein de l’Union européenne, cette mesure devrait contribuer à réfréner la cupidité des grands acteurs économiques. En tout cas sur le Vieux Continent, car aux États-Unis elle reste intacte. Le 4 février, le patron de Heinz (les ketchups) a ainsi obtenu un parachute doré de 56 millions de dollars, auxquels s’ajouteront 99 millions de dollars d’actions de sa société et 57 millions de « rémunérations différées ». Soit 212 millions de dollars au total. Qui dit mieux ?

L'éco du jour.

Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.

Image

Contenus partenaires