Main de fer dans un gant de soie

Le président Hu Jintao bouscule les conventions diplomatiques. Avec, comme armes, le franc-parler et un certain humour.

Publié le 19 décembre 2004 Lecture : 5 minutes.

Les observateurs internationaux, qui avaient confié ne rien attendre de particulier de la visite de deux semaines effectuée en Amérique du Sud, fin novembre, par le nouveau président chinois Hu Jintao, ont été contraints de réviser leur jugement. Au Brésil, en Argentine, à Cuba ainsi qu’à la réunion des dirigeants de l’Apec (le Forum de coopération économique Asie-Pacifique), à Santiago du Chili, force leur a été de constater que la diplomatie chinoise avait changé de ton.
Sans se départir de l’affabilité et des manières mesurées qu’on lui connaît, le successeur de Jiang Zemin a étonné par son franc-parler. Le nouvel homme fort de la Chine a prouvé, en affichant une détermination sereine, qu’il ne transigerait pas sur les intérêts vitaux de son pays. De Washington à Tokyo, en passant par l’Asie du Sud-Est, la nouvelle voix de la diplomatie chinoise s’est fait clairement entendre. Chacun examine aujourd’hui ce message à la loupe, pour en analyser le style, jusque-là inédit.
Pour son premier voyage à l’étranger en tant que président du comité militaire central, c’est-à-dire avec tous les pouvoirs en main, Hu Jintao était pourtant contraint d’évoluer dans un contexte assez délicat : la Maison Blanche demandait des explications au sujet d’un article publié à la veille de l’élection présidentielle américaine dans le China Daily, critiquant violemment la « doctrine Bush » sur l’unilatéralisme et la guerre préventive. Tokyo exigeait des excuses pour l’incursion d’un sous-marin chinois dans ses eaux territoriales. Enfin, le président de Taiwan, avant les élections du 11 décembre qui ont douché ses prétentions en donnant la majorité absolue à l’opposition favorable au dialogue avec Pékin, avait déclaré qu’il maintenait son projet de « réviser la Constitution en 2006 et de la mettre en application en 2008 », ce qui équivalait quasiment à une déclaration d’indépendance.
Que ce soit dans les pays appartenant à « l’arrière-cour » des États-Unis ou, à Cuba, chez leur ennemi juré, Hu a pris le parti de rompre avec la tradition et de ne pas chercher à dissimuler ses pensées. On sait que les Chinois détestent dire « non » et, par crainte d’embarrasser leurs partenaires, qu’ils utilisent volontiers des termes ambigus. Ainsi le prédécesseur de Hu avait-il coutume d’insister sur la communauté d’intérêts entre la Chine et les États-Unis pour faire comprendre à ces derniers qu’il réclamait leur soutien ainsi que l’arrêt des ventes d’armes à Taiwan.
Quand il a rencontré Bush en marge du sommet de l’Apec, Hu n’a, lui, pas hésité à tenir tête à l’homme le plus puissant du monde. Le président américain n’est sûrement pas près d’oublier la mise en garde de son homologue chinois : « L’indépendance de Taiwan va compromettre la paix dans le détroit. » Au-delà des sous-entendus habituels, il s’agissait d’un sévère avertissement formulé avec une franchise qui a surpris tout le monde, y compris du côté chinois.
Quant à la tension entre la Chine et le Japon, elle n’est un secret pour personne. La montée des nationalismes et l’attitude de Tokyo, qui s’obstine à nier ses responsabilités pendant la Seconde Guerre mondiale en rendant, encore récemment, par la bouche de son Premier ministre, hommage aux Japonais morts au combat – parmi lesquels des criminels de guerre – ne sont pas sans inquiéter Pékin. C’est sur ce dossier brûlant que Hu, mariant la fermeté et la souplesse, a fait montre de toute son habileté. Après avoir manoeuvré, à Santiago, pour renouer le contact avec le Premier ministre Koizumi, il n’a pas hésité à lui signifier sans détour que « le principal obstacle entre les deux pays n’est autre que [sa] visite au sanctuaire Shinto », où reposent les « héros » contestés. Ce qui n’a pas manqué de susciter, aussitôt, au Japon un débat sur le thème de la présence de criminels de guerre au sein du sanctuaire.
On n’a pas oublié la langue de bois pratiquée par Hu lorsqu’il était encore numéro deux du régime, notamment au sommet du G8 d’Évian. Il a donc pris à contre-pied tous les commentateurs en sachant se montrer direct, et même drôle, puisqu’il a réussi à faire rire tous les dirigeants avec un humour inattendu.
Un témoin raconte que durant le déjeuner de travail des chefs d’État et de gouvernement à l’Apec, George W. Bush a exigé de ses homologues d’Asie-Pacifique qu’ils achètent davantage de produits américains. Tout le monde a alors tourné les yeux vers Hu Jintao, non seulement parce que la Chine est le pays qui a le plus d’excédents commerciaux avec les États-Unis, mais aussi parce qu’elle peut jouer le rôle de « porte-parole » officieux des autres pays créditeurs. Hu n’a pas déçu son public en répondant à Bush : « Vos déficits commerciaux ne nous préoccupent pas, parce que vous avez les épaules assez larges pour les supporter. Nous préférons nous intéresser à la chute du dollar. » Et d’ajouter, sous les éclats de rire : « Vous avez réussi votre réélection, vous avez bonne mine et vous êtes en pleine forme. Nous sommes tous persuadés que vous saurez prendre les mesures nécessaires pour enrayer cette chute ! »
Si Hu a été accueilli aussi chaleureusement en Amérique du Sud, c’est parce que la Chine a décidé non seulement de développer des relations stratégiques avec ces pays, mais aussi d’y acheter – plus de 10 milliards de dollars de marchandises l’an dernier, en exceptant Cuba – et d’y investir. La Chine est même devenue, depuis le mois d’octobre, le principal partenaire commercial du Chili, passant ainsi devant les États-Unis. Hu a également promis d’investir 8 milliards au Brésil, plusieurs dizaines de milliards en Argentine… Pékin trouve en Amérique du Sud de nouvelles sources d’approvisionnement en matières premières, mais aussi un nouvel espace politique : c’est dans cette région que l’île rebelle de Taiwan entretient le plus de relations diplomatiques. Ce qui incite Pékin à s’y manifester pour étouffer les velléités d’indépendance de cette dernière.
Mais si le président chinois est ainsi sorti de l’ombre de son prédécesseur Jiang Zemin aux yeux des observateurs internationaux et s’il a su leur apporter la preuve de ses capacités en matière diplomatique, il n’a pas réussi à attirer l’attention de ses compatriotes, d’abord préoccupés par les questions intérieures. Reste à voir si, dans ce domaine, le président Hu saura se montrer aussi convaincant qu’il l’a été avec ses interlocuteurs étrangers.

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