Madani Tall : « un point de croissance gagné en Côte d’Ivoire irradie l’ensemble de la sous-région »

Directeur des opérations à la Banque mondiale, Madani Tall répond aux questions de Jeune Afrique. Stabilité régionale, impact de la situation au Mali, renouveau économique ivoirien et intégration régionale sont au menu des discussions.

Pour Madani Tall, la reprise des activités en Côte d’Ivoire et au Nigeria a très certainement compensé les pertes liées à la crise malienne au Togo et au Bénin. © Olivier/JA

Pour Madani Tall, la reprise des activités en Côte d’Ivoire et au Nigeria a très certainement compensé les pertes liées à la crise malienne au Togo et au Bénin. © Olivier/JA

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© Vincent Fournier pour JA

Publié le 12 mars 2013 Lecture : 6 minutes.

Jeune Afrique : quels impacts la crise malienne a-t-elle eu sur les économies voisines notamment celles pour lesquelles vous êtes le représentant résident de la Banque mondiale ?

Madani Tall : La crise malienne est effectivement une crise africaine qui dépasse les frontières de ce pays. Au-delà de l’impact économique auquel on fait souvent référence, parce que le Mali commerce avec les pays voisins, notamment la Côte d’Ivoire et le Sénégal, l’impact humain est peut-être celui qu’il faut véritablement mettre en évidence. Vous comptez à peu près 200 000 réfugiés dans les pays voisins (Mauritanie, Burkina Faso, Niger…). Au Burkina Faso, l’afflux de réfugiés est passé de 15 000 à 70 000 en moins de six mois. Cela a entraîné des coûts et un impact sur le budget du Burkina Faso. Dès le début de la crise (en avril 2011), la Banque mondiale a apporté un appui budgétaire de 90 millions de dollars, soit 20 millions de dollars de plus que le montant initialement prévu. Nous sommes en train d’instruire un nouvel appui budgétaire pour lequel nous envisageons d’apporter un financement additionnel pour renforcer davantage la capacité du gouvernement à faire face à ces exigences qui n’étaient pas prévues au départ.

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Grâce à leurs ports respectifs, le Togo et le Bénin sont des pays de transit comptant le Mali parmi leurs principaux clients. Ont-ils souffert de cette crise ?

Les chiffres ne sont pas très parlants là-dessus. L’essentiel des échanges avec ces pays se faisait avec la partie sud du Mali, même s’il y a eu un ralentissement de l’économie, il reste encore une certaine vitalité au niveau des activités de transit. Par ailleurs, la reprise des activités en Côte d’Ivoire et au Nigeria a très certainement compensé les pertes liées à la crise malienne au Togo et au Bénin.

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Globalement 2012 a en effet été une bonne année pour les pays que vous couvrez. Comment s’annonce 2013 ?

Nous sommes assez optimistes avec le retour de la Côte d’Ivoire. Un point de croissance gagné en Côte d’Ivoire irradie l’ensemble de la sous-région. De même, 1 dollar investi en Côte d’Ivoire a un impact immédiat sur l’ensemble de la sous-région. En 2012, tous ces pays ont connu des taux de croissance qui dépassent les 5%. La Côte d’Ivoire a, quant à elle, réalisé 8% et ambitionne une croissance à deux chiffres à l’horizon 2014. Elle peut entraîner les autres vers une croissance plus forte. Le défi pour ces pays (Burkina, Bénin, Côte d’Ivoire) est que cette croissance se traduise par une économie plus forte et une réduction de la pauvreté, autrement dit par la création d’emplois. Parce que, à l’avenir, les sources de déstabilisation proviendront certainement du chômage des jeunes.

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En 2008, on pouvait dénombrer jusqu’à cinquante deux barrages entre l’aéroport et le quartier des affaires du Plateau, aujourd’hui on compte 33 barrages officiels sur toute l’étendue du territoire.

En Côte d’Ivoire, la locomotive sous-régionale, la filière café-cacao reste la principale source de revenus. Peut-on être un champion régional en ayant une économie peu diversifiée ?

La Côte d’Ivoire a bâti son développement sur l’agriculture. Même pendant la crise, le pays est resté leader africain dans la production de café, de cacao, d’hévéa, d’ananas etc. C’est un pays qui a la culture de l’agriculture. L’idée aujourd’hui est de combler le déficit de productivité dans ces différentes filières pour qu’elles prennent davantage de place, non seulement sur les marchés mondiaux, mais aussi pour qu’elle se traduise par plus de revenus pour les producteurs. Au-delà du secteur agricole le pays a un potentiel énergétique important (déjà exportateur mais possède un potentiel énorme pour faire davantage), un potentiel minier important qu’il faut rentabiliser grâce un nouveau code minier en cours de mise en place, un potentiel touristique certain… Tout cela va demander des investissements lourds. Des réformes sont en cours dans ces différents secteurs. Cela veut dire qu’il faut mettre en place un environnement des affaires de classe internationale avec une bonne gouvernance, une justice transparente, le moins de corruption possible, le moins de tracasseries administratives possibles, des activités portuaires efficaces en évitant qu’un conteneur ne reste au port pendant trois semaines avant d’être déchargé.

Justement la Côte d’Ivoire est très mal classée dans le dernier rapport Doing business. Comment atteindre une croissance à deux chiffres dans ces conditions ?

font-size: 11px;">Le dernier classement Doing business a été fait à un moment où le pays sortait d’une crise politique majeure et où l’administration se mettait en place… Les autorités se sont mobilisées pour identifier les domaines dans lesquels le pays est mal placé, elles ont déjà pris certaines mesures qui vont très certainement améliorer le prochain classement. Ils ambitionnent d’être parmi les pays les plus réformateurs sur l’année. Il ne s’agit pas forcément de réaliser un grand bond dans le classement, mais de donner un signal fort aux investisseurs. C’est ce qui est le plus important. La justice avait une très mauvaise image auprès du secteur privé, mais un tribunal de commerce a été mis en place pour traiter les litiges dans le monde des affaires. Pour créer une entreprise, les tracasseries administratives étaient multiples ; un guichet unique a été mis en place pour traiter les créations d’entreprise en 48 heures. Un centre de lutte contre les rackets a été mis en place : en 2008, on pouvait dénombrer jusqu’à cinquante deux barrages entre l’aéroport et le quartier des affaires du Plateau, aujourd’hui on compte 33 barrages officiels sur toute l’étendue du territoire.

Il y a encore un décalage entre les discours et la réalité au niveau des frontières.

Quand la Côte d’Ivoire va, toute la sous-région va. Comment renforcer l’intégration dans la zone, sachant qu’elle est assez faible pour l’instant ?

Pour la Banque mondiale, c’est un agenda extrêmement important. Il y a cinq ans, elle a créé au sein de la région Afrique un département chargé de l’intégration régionale. Nous réfléchissons et travaillons sur de nombreux programmes structurants : nous sommes par exemple en train de réfléchir et d’accompagner la Cedeao dans l’élaboration d’un programme de transport aérien régional. Il ne s’agit pas forcement de créer une nouvelle compagnie, cela pourrait aussi être une rationalisation des compagnies existantes. Notre objectif est de lever les nombreux blocages artificiels qui ne favorisent pas les échanges. À n’importe quel poste frontière vous voyez des camions alignés sur des kilomètres. Il y a encore un décalage entre les discours et la réalité au niveau des frontières. L’Afrique de l’Ouest représente un marché de 300 à 400 millions d’habitants qu’il faut concrétiser le plus rapidement possible.

Avez-vous une enveloppe destinée au financement de cette intégration régionale ?

Pour inciter les États à investir dans les programmes régionaux, la Banque mondiale a mis en place une enveloppe régionale qui fonctionne comme suit : lorsqu’un pays décide d’investir un montant donné dans un projet régional, cette enveloppe régionale vient en appui en apportant le double de ce montant. Un exemple : la Banque mondiale débloque en faveur du Burkina Faso environ 800 millions de dollars sur trois ans. Si le pays décide de consacrer 200 millions de dollars à un projet intégrateur, la Banque mondiale va apporter 400 autres millions (en tout le projet bénéficiera d’un total de 600 millions de dollars). C’est une incitation à aller vers plus d’intégration. On a ainsi financé l’axe Abidjan-Accra. En apportant près de 50 millions de dollars, la Côte d’Ivoire a réussi à mobiliser 150 millions de dollars. C’est quelque chose de nouveau qui n’existait pas il y a cinq ans.

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