Kadhafi sort ses réserves

Dans ce pays où 25 % des gisements ne seraient pas encore exploités, la mise aux enchères de plusieurs blocs a rencontré un franc succès.

Publié le 19 décembre 2004 Lecture : 4 minutes.

Ils représentaient trente pays, bien plus encore de compagnies pétrolières, qui s’étaient donné rendez-vous à Tripoli. L’événement était de taille : l’une des plus grandes offres aux enchères de la profession. Alors que sa production stagne depuis quelques années pour tourner autour de 1,5 million de barils par jour, la Libye souhaite la porter à 3 millions d’ici à 2010. La National Oil Company (NOC) mène le jeu. Pour moderniser les puits existants et en creuser de nouveaux, il faudra investir 2,5 milliards d’euros. C’est la somme annoncée, début septembre, par Choukri Ghanem, secrétaire du comité populaire libyen.
Le résultat des enchères devrait être connu en janvier. Les espoirs sont grands. Même si d’autres appels d’offres pourraient être lancés ensuite, les tranches mises en vente ont de quoi satisfaire bien des appétits. Outre les grands bassins d’hydrocarbures terrestres, six nouvelles zones offshore ont été définies. La prospection, puis l’exploitation, se produiraient alors à 1 000 m sous le niveau de la mer, contre 180 m de profondeur pour les plates-formes actuelles. Chez Total, le géant français, l’équipe de Jean-Philippe Magnan, vice-président en charge du Maghreb, est déterminée : « La Libye nous intéresse. Avec le retour des Américains dans la compétition, ce sera très difficile. Il faudra sortir les griffes, mais c’est désormais notre lot dans tous les pays où s’ouvrent de nouvelles zones d’exploration. » Bien que placé loin derrière Agip, filiale du groupe italien ENI, Total se considère comme l’un des grands opérateurs occidentaux dans le pays.
Chez le norvégien Norsk Hydro aussi, on se réjouit : « Depuis 1998, nous travaillons dans le bassin de Mourzouk, raconte un dirigeant. Sur les dix puits que nous avons creusés, six se révèlent fort intéressants. L’un d’eux vient d’être mis en production. » Le pays, en effet, n’a pas attendu septembre 2004 pour mobiliser ses énergies et travailler avec des sociétés étrangères, notamment Agip, dont la filière gaz est un partenaire majeur, aux côtés de Gaz de France, du Western Libyan Gas Project. Un programme de 4,2 milliards d’euros pour développer les puits terrestres et sous-marins, et les relier à la Sicile. Enfin, Shell, une des grandes majors américaines ayant quitté la Libye après l’attentat de Lockerbie voici douze ans, signait le 25 mars dernier un « partenariat stratégique à long terme » avec le patron de la NOC.
Il est vrai que ses réserves pétrolières placent déjà la Libye au onzième rang mondial (3 % du total), sans compter le gaz (1,5 % des réserves mondiales), et que, selon la puissante EIA, l’agence américaine chargée des questions énergétiques, 25 % des gisements ne seraient pas encore exploités. Or le brut libyen, léger, est souvent exploitable à moins de 5 dollars le baril dans les meilleures conditions. Ce trésor intéresse au plus haut point l’administration américaine, soucieuse de diversifier ses sources d’approvisionnement. Son unique préoccupation, tout faire pour que les Américains aient un morceau de roi dans le nouveau partage pétrolier. Pour eux, il ne s’agirait que d’un retour aux sources. Dès 1959, les majors accourues d’Amérique s’imposaient dans les bassins libyens. Arrivé au pouvoir en 1969, Mouammar Kadhafi n’a pas cessé de les chasser. Exxon et Mobil prenaient le large en 1982. Quatre ans plus tard, la dernière société américaine quittait officiellement le pays. Illusion, bien sûr. Juridiquement, lors de leur retrait, ces acteurs américains ont confié la gestion de leurs champs à la NOC selon des accords particuliers, baptisés standstill agreements, dans lesquels le partenaire étranger est inopérant. Les Américains entendent bien reprendre du service.
Dès le 20 juillet 2004, donc fort peu de temps après que Washington et Tripoli se furent réconciliés, on a vu arriver sur place Charles Snyder, numéro deux du secrétariat d’État des Affaires africaines. En réalité, des négociations avaient commencé bien plus tôt. Dès 1999, des cadres du groupe Oasis arrivaient discrètement dans le pays pour visiter leurs champs historiques de Gialo, Defa, Waha et Bahi, toujours capables de produire 100 000 barils par jour. Ils obtenaient du patron de la NOC l’engagement qu’ils pourraient y opérer de nouveau. La condition posée était qu’ils y reviennent dans un délai d’un an. Finalement, c’est en 2005 qu’expirent les droits du consortium Oasis, d’où l’importance cruciale pour lui d’une renégociation rapide.
En janvier 2000, devant le Congrès général du peuple, le colonel Kadhafi voyait dans le pétrole une « saleté que nous avons trouvée au coeur de la terre » et qui fournissait des devises destinées à acheter des produits superflus. Il émettait le voeu qu’elles servent à moderniser le pays. S’ils doublaient, les revenus engrangés grâce au pétrole, aujourd’hui supérieurs à 10 milliards d’euros par an, permettraient-ils à la Libye de réussir, enfin, son décollage ? Il faut noter que le Great Man Made River destiné à acheminer l’eau des nappes phréatiques vers les populations nécessite encore 21 milliards d’euros pour être achevé…

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