« Candidats du vide »

Publié le 19 novembre 2006 Lecture : 2 minutes.

Tous les lecteurs de l’excellente Revue publiée deux fois par trimestre par le Groupe Jeune Afrique savent que le démographe Emmanuel Todd est l’un des meilleurs observateurs de la société française d’aujourd’hui (à relire : son interview dans le n° 4, paru au mois de septembre). Interrogé il y a peu par nos confrères du Monde et de France Inter, ce fin analyste revient sur la prochaine élection présidentielle. Selon lui, « nous allons vers une rupture du système », dans la mesure où « une partie énorme du corps électoral », qui a « décroché des idéologies traditionnelles », se trouve « en état de flottement complet », alors que les élites politiques censées le représenter et le canaliser sont « complètement larguées ».
La semaine qui vient de s’achever offre une illustration parfaite de cette confusion des esprits. D’un côté, un président socialiste de région, Georges Frêche, patron local du comité de soutien à la candidate Ségolène Royal, récidiviste de surcroît (il avait traité les harkis de « sous-hommes »), regrette publiquement que l’équipe de France de foot soit composée de « neuf blacks sur onze », alors que « la normalité serait qu’il y en ait trois ou quatre ». « Les blancs sont nuls, ajoute-t-il, j’ai honte pour ce pays. » De l’autre, un ex-humoriste porte-flambeau du communautarisme noir, Dieudonné Mbala Mbala, fraternise ouvertement avec Jean-Marie Le Pen, avec lequel il partage le sentiment d’être « diabolisé » par un même complot judéo-médiatique, et dont il juge le discours fédérateur et la fréquentation « très positive » !
Ce double naufrage de personnalités déjà largement discréditées par leurs excès de langage est moins dérisoire qu’il n’y paraît. Frêche et Dieudonné se sont (beaucoup par démagogie) libérés du logiciel démocratique et républicain classique pour pêcher dans les eaux troubles du populisme. Ils sont les symptômes d’une perte de repères, d’une dissidence commune à toute une fraction – grandissante – de l’électorat français, aux yeux duquel l’évolution économique du pays apparaît comme catastrophique et à qui les 20 % de la population qui constituent la frange supérieure de la société sont totalement étrangers.
Face à ce mélange d’exaspération et de peurs confuses, parfois irrationnelles, qui caractérise la « France d’en bas », il faudrait tenir un discours courageux, sans concession aucune, avec des perspectives claires. Ce n’est pas la voie que semble avoir choisie le tandem Sarko-Ségo. Le premier n’est plus gaulliste et la seconde n’est plus socialiste, au point que leurs phrases semblent parfois interchangeables. C’est ainsi que ces « candidats du vide », pour reprendre l’expression de Todd, entendent assécher le marais électoral de l’extrémisme et piocher dans l’escarcelle de l’autre. Si l’élection présidentielle française s’annonce passionnante, c’est donc beaucoup plus par son indécision que par le débat d’idées et de programmes auquel elle donnera lieu. Quant à Frêche et Dieudonné, ils ont encore, hélas ! de beaux jours devant eux.

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