Un simple préalable
Qui paie ses dettes s’enrichit. C’est du moins ce qu’on croyait, dicton à l’appui, jusqu’à ces vingt dernières années. Depuis, en Afrique en particulier, on a eu de bonnes raisons de douter de la pertinence de ce raisonnement apparemment de bon sens. Vouloir honorer ses dettes, pour la plupart des pays du Sud, revenait désormais à se suicider économiquement.
Impossible qu’il en soit autrement dans ces situations totalement absurdes où les États débiteurs impécunieux, du fait de l’accumulation d’intérêts devenus exorbitants et de leur incapacité à rembourser les prêts, en étaient réduits, pour contenter leurs débiteurs occidentaux en payant au moins une partie de leurs arriérés, à tout simplement… emprunter toujours davantage. Le cercle vicieux parfait ! Et voilà comment, depuis un quart de siècle, le Mali, pour prendre un exemple, aurait de fait remboursé en monnaie courante plusieurs fois le montant des sommes empruntées – sept fois, disent certains – tout en voyant le montant de sa dette se multiplier par quatre !
Il serait donc indécent et même irresponsable de ne pas se réjouir de la décision prise le 10 juin à Londres par les ministres des Finances des pays du G8 d’annuler la dette « multilatérale » d’une bonne partie des pays les plus pauvres, pour la plupart africains. Il s’agit en effet bien là d’une initiative « historique » : la première tentative sérieuse de casser le cercle vicieux évoqué ci-dessus et dénoncé depuis des années par tous ceux qui se préoccupent du développement – entendre bien sûr : du sous-développement – des pays du Sud. Une initiative d’autant plus spectaculaire qu’elle s’accompagne d’une volonté affichée d’augmenter enfin le volume de l’aide au développement.
Une fois cela dit, il ne faut pas pour autant crier victoire. Et pas seulement en raison des importantes limites de l’accord de Londres (la dette « privée » n’est pas concernée, les « conditions » imposées aux bénéficiaires sont pour partie très discutables, etc.). Certes, dans le cas qui nous occupe, qui désormais ne paiera plus ses dettes cessera à coup sûr d’être empêché par là même de se développer. Mais rien n’assure pour autant que les États libérés du fardeau des remboursements pourront rentrer dans le cercle vertueux de l’essor économique et social.
Pour bien des raisons, dont les deux essentielles sont les suivantes. D’abord, l’épouvantail de la dette a souvent caché toutes les autres entraves « externes » au développement, qui restent, elles, dans le même état qu’auparavant : commerce inéquitable (qui ne connaît l’exemple du scandale du coton ?), incapacité des pays du Sud à peser sur les décisions de la communauté internationale alors même que la mondialisation les oblige à subir les effets de ces décisions… Ensuite, et surtout, il va de soi que ce n’est ni l’annulation de la dette ni l’augmentation de l’aide qui provoquent à elles seules le développement, mais des politiques avisées menées par des gouvernements responsables et imaginatifs sur de longues durées. Est-il utile, ici, de rappeler qu’aucun des grands pays émergents, Chine en tête, ne doit son « miracle » économique à l’aide ?
En un mot, l’accord de Londres, aussi heureux soit-il, débouchera sur de graves désillusions s’il n’est pas considéré, à la fois par ses concepteurs et ses bénéficiaires, comme, au mieux, un simple préalable à une possibilité de développement qui se présente à nouveau pour certains pays. Comme un point de départ et non pas d’arrivée.
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