10 % du chemin…

Publié le 19 juin 2005 Lecture : 4 minutes.

La route qui doit permettre à l’Afrique d’échapper à l’extrême pauvreté est maintenant tracée. Plusieurs études récentes, notamment celles du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad), du rapport des Nations unies sur les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) et de la Commission pour l’Afrique du Premier ministre britannique Tony Blair, vont toutes dans le même sens. L’Afrique a besoin de davantage d’investissements pour sortir de la faim, de la maladie et de la pauvreté. Ces investissements doivent être financés en partie par une aide accrue des pays riches. L’Europe s’y est mise. Le destin de l’Afrique repose désormais sur une Maison Blanche récalcitrante.
Les priorités des investissements en Afrique concernent quatre secteurs principaux : la santé, l’éducation, l’agriculture et l’infrastructure.
Les besoins en matière de santé sont urgents et évidents. L’Afrique doit combattre le sida, le paludisme et d’autres maladies meurtrières. L’Afrique a besoin d’investissements dans des dispensaires, du personnel de santé, des médicaments et des mesures de prévention, telles que des moustiquaires antipaludiques.
L’éducation, elle aussi, est primordiale. Des dizaines de millions d’enfants ne terminent pas leur scolarité. Il y a trop peu d’enseignants, de classes et de matériel scolaire, et les parents gardent leurs enfants à la maison pour leur faire faire les travaux agricoles.
L’agriculture africaine a une productivité terriblement faible, parce que les paysans ne disposent pas des éléments de base de l’agriculture moderne, et notamment d’une irrigation à petite échelle, de semences et d’engrais améliorés.
Enfin, les infrastructures de l’Afrique est notoirement insuffisante, faute d’électrification rurale, d’eau potable, de sanitaires, de routes carrossables et de télécommunications.
Ces quatre problèmes peuvent être résolus. Les investissements nécessaires sont connus et possibles. Mais les pays africains sont dans l’impossibilité de les réaliser eux-mêmes.
Une aide au développement pour l’Afrique accrue de la part des pays riches est donc indispensable, et elle a été promise depuis longtemps, mais elle se fait attendre. La Commission pour l’Afrique de Blair a demandé qu’elle soit doublée – des 25 milliards de dollars actuels à environ 50 milliards de dollars par an vers 2010, et triplée à 75 milliards de dollars vers 2015. Les autres études font une évaluation comparable de l’aide nécessaire.
Ces besoins financiers ne sont pas hors de portée des pays riches. Le Produit national brut (PNB) des pays donateurs à hauts revenus est actuellement d’environ 30 000 milliards de dollars par an : les 25 milliards de dollars d’aide ne représentent que 8 cents pour 100 dollars de PNB de ces pays. Vers 2010, l’aide nécessaire passerait à environ 16 cents pour 100 dollars et en 2015, à environ 22 cents pour 100 dollars. Les besoins de l’Afrique sont urgents – c’est une question de vie ou de mort -, mais ils sont très modestes relativement aux revenus des pays donateurs.
Le problème le plus grave est le niveau extrêmement faible de l’aide fournie par les États-Unis. L’Europe a pris en compte l’accroissement des besoins de l’Afrique, mais pas l’Amérique. Bien qu’ils soient le pays le plus riche du monde, les États-Unis sont l’un des donateurs les plus chiches. Ces dernières années, l’aide américaine à l’Afrique a été de 3 misérables cents pour 100 dollars de PNB. Mais même ce chiffre exagère la véritable aide américaine, car une grande partie de cet argent représente les salaires des consultants américains (voir J.A.I. n° 2318, p. 97), et non pas des fonds qui pourraient être investis dans la santé, l’éducation, l’agriculture et les infrastructures de l’Afrique.
La décision annoncée le 10 juin par les ministres des Finances des pays du G8 d’annuler la dette de 14 pays africains est un pas dans la bonne direction, mais n’est qu’un tout petit pas pour faire face aux besoins financiers de l’Afrique. L’annulation de la dette permettra à l’Afrique d’économiser environ 1,5 milliard de dollars de remboursement chaque année, mais elle aura besoin de 25 milliards de dollars supplémentaires d’aide par an en 2010. L’annulation de la dette représente donc moins de 10 % des besoins financiers globaux du continent.
Les États-Unis ne vont peut-être même pas jouer le rôle qui leur revient dans cette annulation. Chaque pays créditeur a accepté de repayer à la Banque mondiale une partie de la perte de cash-flow qui résultera de l’annulation. Selon certaines informations, Washington financerait la part américaine de ces versements en rognant sur d’autres secteurs d’aide. Autrement dit, l’aide que les pays africains percevront grâce à l’allègement de la dette apporté par les États-Unis sera soustraite d’autres programmes américains. Si c’est le cas, ce serait scandaleux.
La vérité est que le problème de la pauvreté mondiale ne sera pas résolu – et le monde ne connaîtra pas la sécurité – tant que les États-Unis n’auront pas renoncé à une politique étrangère qui investit 500 milliards de dollars par an dans la défense, et 3 milliards de dollars par an seulement dans l’aide à l’Afrique. Aucun niveau de puissance militaire ne peut apporter la sécurité aux États-Unis tant que des centaines de millions d’êtres humains seront rongés par la faim, la maladie et sans espoir économique.
Les dirigeants et les citoyens de tous les pays doivent dire ces vérités fondamentales au président George W. Bush dans les semaines qui viennent, à temps pour que les États-Unis puissent enfin tenir leur promesse d’être un vrai partenaire du développement économique de l’Afrique lorsque le G8 se réunira en Écosse au début de juillet.

* Jeffrey Sachs est directeur de l’Institut de la Terre à l’université Columbia et conseiller du secrétaire général de l’ONU Kofi Annan sur les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD).

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