Abdoulaye Wade

Président de la République sénégalaise

Publié le 19 juin 2005 Lecture : 4 minutes.

Après la décision du G8, le président sénégalais ne boude pas son plaisir. Mais il en profite aussi pour dire tout le mal qu’il pense de la gestion du Nepad (Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique). Sans précaution de langage. Abdoulaye Wade ne va pas se faire que des amis, mais il assume !

Jeune Afrique/L’intelligent : Comment réagissez-vous à l’effacement de la dette multilatérale ?
Abdoulaye Wade : Très favorablement. Cela va dans le sens des réclamations que nous faisions, notamment depuis le sommet de l’OUA à Lomé, en 2000. Je suis très content de ces résultats.
J.A.I. : Remerciez-vous George W. Bush, Tony Blair ou Jacques Chirac ?
A.W. : Je remercie les trois, mais particulièrement Tony Blair, parce que c’est lui qui a été le moteur. Le mérite de sa proposition, c’est qu’elle s’appuie sur un mécanisme parfaitement faisable. Je remercie aussi le Japon, qui, sans faire de bruit, a déjà effacé 3 milliards de dollars de dette au bénéfice de l’Afrique il y a deux ans.
J.A.I. : Que pensez-vous de la décision du G8 de compenser dollar par dollar les 40 milliards que vous ne rembourserez pas à la Banque mondiale et à la BAD ?
A.W. : Écoutez, je vais vous dire quelque chose de paradoxal. Le problème n’est pas l’argent. L’argent, on peut en trouver. La preuve : la proposition de Blair, ou celle de Chirac. Le problème, c’est la réalisation concrète des projets. Les pays riches doivent alléger les procédures. Et je suis au regret de dire que nous, les Africains, nous devons renoncer à la maîtrise totale de ces projets. Nous devons cogérer avec les pays donateurs. Le Nepad est une très bonne chose. Les projets ont été bien identifiés. Mais depuis quatre ou cinq ans, le Japon, l’Inde et le Canada ont débloqué des fonds, et rien n’a été mis en oeuvre. Bien sûr, il y a des Africains compétents, mais ceux qu’on a mis à la tête du Nepad ne sont que des bureaucrates qui ne font absolument rien et qui nous font perdre notre temps. Alors, comme on ne va pas se quereller là-dessus, je préfère qu’on mette en place un comité G8-Afrique.
J.A.I. : Faut-il fermer le secrétariat du Nepad à Johannesburg ?
A.W. : Absolument. Il faut le fermer. Je suis très clair là-dessus. Il dépense de l’argent pour rien. Depuis que le Nepad existe, ses responsables ont dépensé 15 millions de dollars. Ils n’ont pas avancé d’un pouce, et ils n’avanceront pas ! On avait décidé de transférer ce secrétariat à Addis-Abeba et de l’alléger pour le mettre sous la direction du président de la Commission de l’Union africaine, Alpha Oumar Konaré, qui est un homme d’action. Mais cette décision n’a pas été exécutée à cause de problèmes de susceptibilité. Alors tant pis ! Je sais bien que je vais m’attirer les foudres de certains, mais cela ne fait rien.
J.A.I. : Quel est pour le Sénégal le montant des ressources dégagées par cet effacement de dette ?
A.W. : Cela représente 2,5 milliards de dollars, soit 1,372 milliard de F CFA. Pour nous, l’effacement de la dette, cela signifie que nous payions 200 millions d’annuités sur notre budget, et que nous ne les paierons plus. Qu’allons-nous faire de ces annuités ? Tout dépend des conditions des bailleurs. S’ils nous laissent carte blanche, nous irons devant l’Assemblée nationale et nous proposerons d’investir dans les écoles, les dispensaires et les routes. De toute façon, il faudra passer par une loi de finances rectificative.
J.A.I. : Ne craignez-vous pas, du coup, d’être confronté à une demande sociale qui vous mette en difficulté sur le plan politique ?
A.W. : Vous savez, moi, les difficultés politiques, je suis habitué. Je dis souvent aux Sénégalais : « Faites des revendications, mais ne cassez pas la maison ». Sans revendications, on ne peut pas faire d’arbitrages. De toute façon, qu’on ne vienne pas me dire que j’augmente les salaires des fonctionnaires parce que la dette a été effacée. Depuis que je suis là, j’ai déjà augmenté deux fois les salaires et, avant l’annonce du G8, j’ai dit aux Sénégalais que l’année prochaine on allait les augmenter de nouveau. Pour moi, la pauvreté, c’est aussi la saleté. Vivre avec les rats et boire de l’eau non potable. C’est pourquoi, si on me suit, l’essentiel de ces fonds servira à l’assainissement de la périphérie de Dakar. À Pikine, Guédiawaye et Parcelles, près de 2 millions de personnes vivent dans la misère. Or il suffirait de 100 à 200 milliards de F CFA pour faire l’assainissement total, c’est-à-dire traiter les eaux usées, alimenter les quartiers en eau potable et goudronner les rues principales. C’est cela la véritable lutte contre la pauvreté !

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