Tous les malheurs du Sud
Mars 2006. Sur le site Web de Oh ! éditions, deux livres sautent aux yeux : Déshonorée, de Mukhtar Mai, et Mutilée, de Khady. Le premier, sorti en janvier, relate l’histoire d’une jeune Pakistanaise condamnée par le tribunal de son village à être violée par quatre hommes parce que son frère de 12 ans a fréquenté une fille d’un autre clan. Le second, paru en octobre 2005, est le témoignage d’une Sénégalaise excisée à 7 ans, mariée de force à 13 ans avant de se voir infliger une coépouse à 18 ans.
Jeune Afrique a déjà eu l’occasion de relever (voir J.A.I. nos 2339 et 2342) l’intérêt de certains éditeurs français pour les souffrances endurées par des gens du Sud. L’an dernier, entre autres « réjouissances », nous avons eu droit à Ma Vie d’esclave de Mende Nazer, Larmes de sable de Nura Abdi, Je suis née au harem de Choga Regina Egbeme, tous trois aux éditions de L’Archipel, ainsi qu’à Mariée de force (Oh ! éditions) de Leïla, Défigurée (Michel Lafon) de Rania el-Baz, La Femme lapidée (Grasset) de Freidoune Sahebjam.
Preuve que ce genre de littérature se vend bien, deux nouveaux titres de la même veine sont annoncés pour le début d’avril. Anne Carrière publie On m’a volé mon enfance, où la jeune Guinéenne Diaryatou Bah (20 ans) raconte le calvaire que lui a fait subir le mari cruel avec lequel elle a été mariée par procuration à 14 ans. Les Presses de la Renaissance, pour leur part, donnent à lire sous un titre choc, Génocidé, le récit d’un Rwandais, Révérien Rurangwa, dont toute la famille a été découpée à la machette en 1994, lui-même ayant miraculeusement survécu aux coups des assassins.
Le propos n’est pas de critiquer des éditeurs qui font leur travail : publier des livres qui se vendent. Il ne s’agit pas non plus de mettre en cause la véracité de ces témoignages. De Karachi à Dakar, du Caire à Johannesburg, il y a beaucoup à faire pour la défense des droits de l’homme – et plus encore de ceux des femmes. Mais il est dommage de réduire la vie dans ces régions à une litanie d’horreurs. L’autre question porte sur la fascination du public européen pour ce type de livres. Entend-il se donner bonne conscience en s’apitoyant sur les malheurs d’hommes et de femmes vivant à l’autre bout du monde ? Souhaite-t-il se rassurer sur son propre sort ? Quoi qu’il en soit, il en redemande.
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