Tournons la page !

Publié le 19 février 2006 Lecture : 3 minutes.

On en parle aussi, dans la communauté marocaine à Amsterdam, de ces caricatures danoises qui ont mis le feu aux poudres dans tout le monde arabe. Curieusement, personne, ou presque, ne les a vues, mais ça n’empêche pas la condamnation. Hier, un jeune boucher marocain disait à la radio que les Suédois devaient être punis à cause du film qu’ils avaient tourné sur Dieu Drôle ou consternant, comme on ?voudra. Cela dit, vu d’ici, il y a ?quelques points intéressants qui méritent d’être médités.
1. Tout d’abord, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce ne sont pas les musulmans des Pays-Bas qui ont exprimé leur réprobation avec le plus de force. Invité dans un débat télévisé, l’ancien ministre des Affaires étrangères et commissaire européen Hans van den Broek a condamné avec énergie ce qu’il a nommé « une atteinte aux valeurs sacrées des gens ». Beaucoup de Néerlandais en ont été surpris : on pourrait en effet attendre d’un ancien ministre qu’il défende plutôt les lois de son pays, lesquelles lois garantissent la liberté d’expression. En fait, Hans van den Broek, chrétien pratiquant, a ainsi trouvé le moyen de remettre en cause des libertés qu’il n’approuvait pas du fond de son cur, mais qu’il n’a jamais osé contester ouvertement. Voilà maintenant qu’il se sert de la crise des caricatures pour faire passer un message qui remet en cause une bonne partie de l’acquis démocratique de son propre pays. Tout le monde semble aujourd’hui persuadé que ce sont les Marocains ou les Turcs de Hollande qui demandent une certaine limitation de la liberté d’expression, alors que ce sont plutôt les partis chrétien-démocrate CDA et chrétien fondamentaliste SGP qui le font.
2. Autre point qui mérite d’être médité : les Marocains des Pays-Bas sont mal informés de ce qui se passe dans leur pays d’adoption. Certains y vivent depuis plus de trente ans, mais il est difficile de trouver un Marocain qui lise un journal hollandais. Avant, quand il n’y avait ni parabole ni câble, ils ignoraient totalement l’actualité. Aujourd’hui, la seule information dont ils disposent provient de la RTM ou d’Al-Jazira. Or quand Al-Jazira a révélé l’histoire des caricatures et a montré toutes les manifestations qui se déroulaient dans le monde arabe et musulman, les Marocains ici n’étaient pas plus avancés en ce qui concerne les Pays-Bas. N’ayant rien vu concernant le pays de Beatrix, ils en ont conclu qu’il ne s’y passait rien. C’est pourquoi tout est resté calme jusqu’à aujourd’hui : ni manifestations, ni jets de pierre, ni bris de vitre. Or certains journaux hollandais ont bel et bien publié les caricatures en question. Mais comme aucun Marocain ne les lit, c’est passé comme une lettre à la poste.
3. Ceci nous amène au troisième point de cette tribune. Finalement, qui lit les journaux danois en dehors des Danois eux-mêmes ? Personne. Alors, pourquoi toute cette agitation ? Les Marocains de Hollande, saintement ignorants de ce qui se publie sous leur nez, donnent l’exemple : ce que je n’ai pas lu (et je n’ai pratiquement rien lu), ce que je n’ai pas vu, ce que je n’ai pas entendu, eh bien, ça n’existe tout simplement pas. Pas besoin de descendre hurler dans la rue parce que trois clowns danois ont commis trois mauvais dessins. Tout est calme aux Pays-Bas et seuls les chrétiens militants, très opportunistes, montent au créneau pour dénoncer le blasphème et la corruption des murs journalistiques Tournons la page, par pitié !

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