Pots-de-vin et Mercedes

Combien de temps encore le pouvoir va-t-il résister aux accusations de corruption ? Pas une semaine ne se passe sans de nouvelles révélations.

Publié le 19 février 2006 Lecture : 3 minutes.

Une véritable hémorragie. Après la démission du ministre des Finances, David Mwiraria, au début du mois, le gouvernement kényan a de nouveau perdu deux de ses membres, le 13 février. Ce sont cette fois les titulaires du portefeuille de l’Énergie et de celui de l’Éducation, Kiraitu Murungi et George Saitoti, qui ont été contraints de rendre leur tablier sous la pression conjointe des associations et des bailleurs de fonds.
À l’origine de cette série de départs, une cascade de révélations sur les scandales de corruption qui ont touché le Kenya depuis le début des années 1990. Tout commence au début de cette année, lorsque John Githongo, l’ancien conseiller pour « l’éthique et la bonne gouvernance » du président Mwai Kibaki, met en doute, les 21 et 22 janvier, la volonté de ce dernier de lutter contre les malversations financières au sommet de l’État.
À cette date, l’ex-« monsieur Propre » du régime, en exil à Londres, rend public un rapport accusant quatre proches du chef de l’État – dont trois exercent alors une responsabilité ministérielle : Moody Awori, à la vice-présidence et aux Affaires intérieures ; David Mwiraria, aux Finances ; et Kiraitu Murungi, à l’Énergie -, d’avoir tenté de ralentir son enquête sur le « scandale de l’Anglo-Leasing », du nom d’une entreprise, en fait fictive, suspectée d’avoir reçu une centaine de millions de dollars de la part des autorités pour la réalisation de contrats qui n’ont, évidemment, jamais été honorés.
Des mises en cause que Githongo étaye, le 9 février, en transmettant à la BBC la preuve, selon lui, de ce qu’il avance : un enregistrement effectué lors d’une rencontre avec un individu qui ne serait autre que Kiraitu Murungi, du temps où celui-ci était encore ministre de la Justice. Sur la cassette, on entendrait l’ex-garde des Sceaux proposer un marché à son interlocuteur : en échange d’un arrangement avec un homme d’affaires auquel le père de John Githongo doit de l’argent, le conseiller à la bonne gouvernance serait prié de ralentir ses investigations dans le dossier Anglo-Leasing.
Toutes ces allégations font grand bruit. D’autant plus qu’elles viennent de celui qui fut aussi directeur exécutif de l’ONG Transparency International Kenya et qui passe pour un martyr de la lutte anticorruption depuis sa fuite à Londres, le 7 février 2005, après avoir été menacé de mort dans le cadre de ses fonctions. Elles incitent aussi tous ceux qui savent des choses sur les pratiques du pouvoir en place à s’exprimer.
Le 31 janvier, c’est au tour de Transparency International et de la Commission kényane des droits de l’homme de tirer à boulets rouges sur Kibaki et son équipe. Les deux associations font savoir que, pendant les dix-huit premiers mois de sa présidence, le gouvernement a dépensé plus de 12 millions de dollars dans l’achat de voitures de luxe destinées à l’usage personnel des hauts responsables de l’État. Une somme qui aurait permis de financer la scolarité de 25 000 petits Kényans pendant huit ans, prennent-elles soin d’ajouter
L’affaire ne s’arrête pas là. Le 3 février, un second rapport sur la corruption est remis au chef de l’État. Concernant cette fois « l’affaire Goldenberg », le texte désigne un certain nombre de responsables présumés de cette gigantesque arnaque remontant au début des années 1990 et portant sur le détournement de 600 millions de dollars du Trésor kényan. Si la plupart des personnes impliquées sont des collaborateurs de l’ancien dictateur Daniel arap Moi, dont deux de ses enfants, Kibaki a aussi la désagréable surprise de voir pointer du doigt l’actuel titulaire du portefeuille de l’Éducation, George Saitoti. Ainsi qu’une vingtaine d’autres personnes, dont certaines occupent encore des responsabilités au sein des grandes institutions économiques et financières du pays.
Déjà embarrassé par les déboires de trois de ses ministres dans le scandale de l’Anglo-Leasing, le président ne peut plus faire le dos rond. Les bailleurs de fonds, excédés, lui font d’ailleurs bien comprendre qu’il doit réagir, et vite. Le 31 janvier, la Banque mondiale, dans le cadre de sa campagne « énergique et décisive » contre la corruption, avait déjà annoncé le report du versement de plusieurs prêts d’une valeur de 260 millions de dollars.
En acceptant le départ de trois de ses fidèles, dont l’un – George Saitoti – s’est par ailleurs vu retirer son passeport et interdire toute sortie du territoire, Mwai Kibaki a voulu donner des gages de bonne volonté à la communauté internationale. Même si, pour l’heure, son vice-président, Moody Awori, refuse toujours de lâcher son maroquin, malgré l’appel lancé en ce sens par quatre-vingts députés, le 14 février.
La fin de la récréation aurait-elle enfin sonné à Nairobi ?

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