Exemplaire !

Des législatives sereines, une présidentielle modèle : le pays poursuit son petit bonhomme de chemin sur la voie de la démocratie.

Publié le 19 février 2006 Lecture : 4 minutes.

Les Cap-Verdiens ont voté pour la continuité. Trois semaines après avoir donné une nouvelle victoire au Parti africain de l’indépendance du Cap-Vert (PAICV) aux élections législatives, avec 41 sièges sur 72, ils ont réélu, le 12 février, Pedro Pires à la tête du pays. L’ancien héros de la lutte de libération, négociateur de l’indépendance avec les Portugais, a obtenu 50,8 % des voix. À 69 ans, le petit homme à la chevelure couleur de neige a devancé d’une courte majorité son adversaire Carlos Veiga, 56 ans, le candidat du Mouvement pour la démocratie (MPD). Comme à l’accoutumée, le scrutin s’est déroulé dans le calme, confirmant la maturité politique des 500 000 habitants de ce petit archipel, situé à 450 km de la côte du Sénégal, et des 700 000 émigrés de la diaspora autorisés à voter. Le Cap-Vert, qui a déjà connu deux alternances, tient ainsi son rang de « modèle » de stabilité en Afrique.
Le duel entre les deux hommes, qui s’affrontaient pour la troisième fois, s’annonçait pourtant serré. Tous deux anciens Premiers ministres, appréciés pour leur charisme, les deux candidats ont marqué de leur empreinte les trente années d’indépendance et les quinze années de démocratie de l’archipel. Chef du gouvernement du PAICV, parti unique de fait pendant quinze ans, Pedro Pires acceptait dès 1990 l’ouverture démocratique. Le Cap-Vert devenait le tout premier pays d’Afrique à organiser des élections libres dès 1991. Veiga, fondateur du premier parti d’opposition, le MPD, remportait alors le scrutin et pendant dix ans allait profondément transformer l’économie du pays avec un vaste programme de libéralisation. En 2001, les deux hommes se retrouvaient à nouveau face à face. Pires, candidat d’un PAICV modernisé, l’emportait, cette fois, lors d’un scrutin très disputé : douze voix à peine séparaient les deux candidats. Malgré les inévitables polémiques suscitées par un résultat aussi serré, les électeurs restaient sereins, confiants dans la marche des institutions et du système judiciaire. Cinq ans après, les deux candidats sont repartis en campagne. Lutte contre la pauvreté, qui touche 37 % de la population, poursuite des principes d’ouverture économique tous azimuts et promotion de l’image du pays : la proximité des deux programmes politiques n’excluait aucun scénario, pas même celui d’une cohabitation.
Une maturité qui tranche avec les soubresauts politiques habituellement observés sur le continent, où les défaites s’accompagnent généralement de hauts cris et d’accusations de fraude. Loin de l’instabilité chronique de son ancien pays « frère », la Guinée-Bissau, où le premier coup d’État en 1980 a inauguré vingt-cinq ans de troubles et définitivement séparé les destins des deux ex-territoires portugais réunis dans la lutte de libération par le leader indépendantiste Amilcar Cabral, le Cap-Vert a consolidé les bases de sa « bonne gouvernance ». Le secret de cet attachement aux règles démocratiques, dans une société, il est vrai, homogène du fait de son fort métissage et qui échappe ainsi aux conflits ethniques ? Sans aucun doute, le poids économique et l’influence politique des émigrés, plus nombreux que les habitants de l’archipel, installés en majorité aux États-Unis et en Europe (Portugal, France, Pays-Bas). En assurant chaque année un transfert financier, estimé à 80 millions d’euros, permettant à de nombreuses familles de survivre, en particulier dans les zones rurales périodiquement touchées par la sécheresse, les émigrés, souvent mieux formés, ont aussi répandu, à côté de leurs dollars et de leurs euros, les ferments d’une véritable culture démocratique. Les candidats ne s’y sont pas trompés, qui ont tous deux consacré une partie de leur programme à l’amélioration des conditions de séjour des émigrés, déjà bénéficiaires d’exemptions douanières et de facilités bancaires.
Sur le plan économique, le soutien d’une majorité confortable au Parlement devrait faciliter la tâche de Pedro Pires, dont la priorité va être de renforcer la marge de manuvre du pays. En se hissant au quatrième rang sur le continent pour le développement humain, avec un PNB par habitant de 5 200 dollars malgré une absence totale de ressources naturelles, le Cap-Vert a réussi un véritable tour de force, lequel pourrait néanmoins avoir son revers. En 2008, le Cap-Vert devra quitter la catégorie des Pays moins avancés (PMA) pour passer dans la catégorie des Pays à développement moyen (PDM). Il perdra ainsi des avantages significatifs en termes de prêts et d’aide publique internationale. Même si la Banque mondiale s’est engagée à faciliter la transition et si le gouvernement encourage toujours plus les transferts financiers de la diaspora, il va falloir faire vite.
Depuis deux ans, le pays a accéléré son programme d’attraction des investisseurs étrangers. En augmentation constante, les investissements extérieurs ont atteint 20 millions de dollars en 2004. La dernière vague de privatisations prévue en 2006 et la stabilité politique, confirmée par le scrutin du 12 février, devraient renforcer la tendance. Le tourisme, qui représente désormais 11 % du PIB avec 170 000 visiteurs par an, bénéficie de préférences fiscales et pourra bientôt compter sur quatre aéroports internationaux. Le Cap-Vert souhaite aussi devenir une plate-forme financière attractive en s’appuyant sur une législation aux normes internationales. Quant à l’industrie, elle est à la recherche de débouchés pour des activités de sous-traitance dans les domaines de la chaussure, de l’habillement et de l’électronique, qui pourraient profiter des préférences américaines et européennes d’accès au marché.
Mais il n’est pas sûr que tout cela suffise pour compenser la réduction de l’aide extérieure, faire baisser le chômage qui touche un quart de la population active, gérer un exode rural croissant et réduire une fracture sociale que la période libérale n’a cessé de creuser. Mais au vu du parcours exemplaire du petit archipel depuis son indépendance en 1975, ce nouveau défi ne devrait pas être impossible à relever.

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