Drôle de siècle

Publié le 19 février 2006 Lecture : 3 minutes.

Depuis le début du XXIe siècle, nous allons, globalisation oblige, de surprise en surprise. Parmi ce qui va changer du tout au tout et qui est déjà en train d’évoluer très vite : l’usage des langues (qu’on appelait « étrangères »).
Les 6 milliards et demi d’êtres humains qui peuplent notre planète parlent encore 6 000 langues différentes. Mais 5 800 d’entre elles n’ont qu’une existence résiduelle puisqu’elles ne sont plus connues et parlées – toutes réunies – que par 3 % à 4 % d’entre nous ; d’ailleurs, elles disparaissent au rythme d’une tous les quinze jours et, comme cette tendance va s’accélérant, on prévoit qu’il n’y en aura plus que 2 000 à la fin de ce siècle, peut-être même beaucoup moins.
À l’inverse, les langues les plus parlées, une bonne dizaine, verront leurs positions consolidées. Parmi elles, l’anglais, qui connaîtra, lui, une destinée particulière, objet d’une nouvelle étude commandée par le British Council* à un linguiste renommé, David Graddol, qui vient de la remettre.
Elle s’appelle « English Next » et nous vous en parlerons plus longuement lorsqu’elle sera rendue publique, mais je ne résiste pas au plaisir de vous livrer, en avant-première, ses principales conclusions. Elles sont étonnantes.

Avant de décrire ce que nous annonce David Graddol pour sa langue, l’anglais, il convient de rappeler où en est aujourd’hui cette langue par rapport aux dix autres les plus parlées dans le monde.
On estime que l’anglais, qui est la langue à la fois maternelle et officielle d’une demi-douzaine de pays (Royaume-Uni, États-Unis, Canada, Irlande, Australie et Nouvelle-Zélande), est couramment parlé et utilisé par plus de 500 millions de personnes. C’est déjà beaucoup, mais cela le situe loin derrière la langue la plus parlée au monde : le chinois (mandarin), parlé, lui, par plus de 1 milliard de personnes.
L’espagnol arrive au troisième rang avec quelque 400 millions de locuteurs. L’hindi le talonne, suivi lui-même de l’arabe, du bengali et du russe, parlés, eux, par 250 à 300 millions de personnes chacun. Viennent ensuite le portugais et le français, utilisés chacun par près de 200 millions d’êtres humains.
Ferment la marche le japonais et l’allemand, employés respectivement par un peu plus de 100 millions de personnes.

la suite après cette publicité

Venons-en à l’anglais, auquel la mondialisation va donner, selon David Graddol, un essor tout particulier.
S’il n’est pas, comme le chinois, la langue maternelle d’un bon milliard d’hommes, de femmes et d’enfants, il serait déjà utilisé comme seconde langue et comme langue de communication par plus d’un milliard de personnes !
Mais le plus important est à venir : ce nombre va tripler dans les dix prochaines années, car l’anglais est déjà enseigné, comme seconde langue, un peu partout sur les cinq continents. Avant 2020, une personne sur deux pourra s’exprimer, communiquer avec les autres en anglais et le « Do you speak english ? » n’aura évidemment plus de sens.

Mais l’anglais qui sera utilisé quotidiennement par plus de 3 milliards de personnes ne sera pas celui de Shakespeare, de Churchill ou même de Blair, encore moins celui qu’on enseigne à Oxford ou à Harvard : ce sera un anglais, non pas de cuisine, mais de bureau, celui qu’on utilise déjà, oralement ou par écrit, à l’ONU et dans les autres organisations internationales.
Il sera enseigné dans le monde entier par des gens dont ce n’est pas la langue maternelle, qui l’auront eux-mêmes plus ou moins bien apprise.
Les six pays de langue anglaise cités ci-dessus gagneront beaucoup dans cette mondialisation de l’anglais, mais ils perdront aussi beaucoup : leur langue ne sera plus seulement à eux ; d’autres, plus nombreux, l’enseigneront et, par conséquent, auront sur elle presque autant de droits qu’eux.
Connaître l’anglais, en plus de sa langue maternelle, ne sera plus l’avantage qu’il est encore aujourd’hui. Pour se distinguer, il faudra connaître une troisième langue (importante).

Le rapport Graddol lui-même ne parvient pas à cerner les limites et les conséquences de cet énorme changement qui s’accomplit en moins d’une génération : des 6 000 langues, dont près de 2 000 en Afrique, l’humanité ne préservera que quelques dizaines. Et l’une d’elles, l’anglais – qui n’était parlé à l’origine que par quelques millions de Britanniques et n’était couramment utilisé, jusqu’à la fin du XXe siècle, que par 400 millions de personnes environ – est assuré de devenir d’ici à quelques années langue universelle au service de l’humanité tout entière.

* Organisme chargé des relations culturelles entre le Royaume-Uni et le reste du monde, créé en 1934 et ainsi nommé en 1936.

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires