Ce qui est permis n’est pas forcément judicieux

Publié le 19 février 2006 Lecture : 3 minutes.

La liberté d’expression est un chemin vers la vérité, un rempart contre la tyrannie et un signe de la valeur que nous accordons à la capacité de jugement de l’homme. Depuis Socrate, le meilleur de la tradition morale et politique occidentale s’est reposé sur le droit des gens à remettre les choses en cause, si inconfortables que puissent être ces remises en cause. Il y a peu de courage et guère de profit à dire à la société ce qu’elle veut entendre. Le courage réside dans le fait de dire à la société ce qu’elle souhaite ignorer.
Pourtant, il doit y avoir des limites à une telle liberté. Ces limites sont l’incitation à la violence ou la menace de violences destinées à éliminer l’opinion des autres. Ce n’est pas l’opinion nazie qui aurait dû être mise hors la loi dans les années 1920 et au début des années 1930, mais plutôt le parti politique qui était là pour les mettre en uvre.
Cette limite est doublement évidente : d’abord parce que l’État est là pour protéger les individus ; ensuite, parce l’intimidation est la mort de la liberté d’expression. Ceux qui brandissent la menace de la violence se placent en dehors de la sphère du discours civilisé. Il ne doit pas y avoir d’équivoque sur ce principe fondamental.
L’expression d’opinions que certains groupes considèrent comme une grave offense est un tout autre problème. Ces opinions peuvent être impolies, même scandaleuses, certes, mais ce n’est pas une raison suffisante pour qu’elles soient considérées comme illégales. […]
Je suis un fils de réfugiés qui avaient fui Hitler. Pourtant, la négation de l’Holocauste ne devrait pas, à mon avis, être un crime. Pas plus que l’expression d’opinions antisémites, à condition que celles-ci ne comportent pas d’incitation à la violence. L’absurdité de telles opinions – et les préjugés de ceux qui les professent – sera exposée bien plus aisément si on les discute dans le cadre d’un débat ouvert qu’en les enterrant. Dans un débat, la folie de ceux qui nient que l’Holocauste ait existé, tout en se réjouissant qu’il ait eu lieu, devient évidente. Si nous sommes d’accord sur le fait que la plupart des expressions d’opinion, sauf celles qui incitent à la violence, sont permises, qu’en est-il de ces fameuses caricatures? N’étaient-elles pas, même indirectement, une incitation à la violence ?
L’idée sur laquelle reposent ces dessins – à savoir que certains adeptes utilisent le Coran pour justifier le terrorisme – est juste. Il doit être possible pour des médias occidentaux de le dire. Mais une figuration du Prophète est considérée comme un blasphème par les croyants. La bonne position est de dire que ces caricatures n’étaient pas une incitation directe à la violence, mais une façon de dire quelque chose. Elles ne devraient pas être illégales. Les arguments en faveur de la suppression d’une telle liberté d’expression doivent être rejetés. Elle est un garde-fou – trop précieux contre les tyrannies de toutes sortes pour qu’on le permette. Ceux qui ont la chance de vivre dans une société libre doivent en accepter parfois les désagréables conséquences. Néanmoins, dans le contexte de relations tendues entre l’Occident et les musulmans, la publication des caricatures n’est pas un acte sage. Ce qui est légalement permis n’est certainement pas obligatoire et souvent pas judicieux. La réserve dans l’exercice d’une liberté peut souvent être la voie la plus sage.
Ceux qui jouissent de cette précieuse liberté devraient se souvenir que ce qui doit rester légal n’est pas obligatoire. La liberté est un droit que nous avons à la naissance. La réserve est une mesure de notre maturité.

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