Aux frontières, l’inquiétude

Le Cameroun et le Bénin sont parmi les menacés. Les éleveurs pourraient tout y perdre.

Publié le 19 février 2006 Lecture : 5 minutes.

Devant son étalage du marché de Ganhi, au centre de Cotonou, Catherine Dossou se désole. La fin de la journée approche et elle n’a vendu que cinq poulets contre plusieurs dizaines habituellement. La centaine de volailles encore vivantes, qu’elle a barricadées dans de grandes cages en osier, vient d’un élevage proche de Ouidah, à 40 kilomètres de la capitale économique béninoise. Depuis plusieurs jours, elles ne trouvent plus preneur. « Les gens refusent de manger du poulet. Je ne suis pas allée au village pour m’approvisionner depuis la semaine dernière. Ce n’est plus la peine », déclare-t-elle. Sur le plus grand marché du pays, celui de Dantokpa, à Cotonou, Valerine Hodonou est dans la même situation. Avec le sourire, elle tente de convaincre les passants, mais rien y fait, la peur du virus est la plus forte. « Je ne vends plus rien, et pourtant, je vous assure que mes volailles sont d’ici. »
Le Bénin, à bien des égards considéré comme l’entrepôt du Nigeria, fait l’objet de toutes les inquiétudes depuis l’annonce de la présence de foyers de grippe aviaire chez son grand voisin.
Selon les chiffres officiels, les importations nigérianes de volailles sont quasiment nulles, mais personne ne saurait contester que l’essentiel de ce commerce est informel. C’est donc l’ensemble de la filière qui est en péril, aux prises avec une psychose irrationnelle et un contrôle défaillant.
« Il y a un vrai déficit d’information », constate Charlemagne Kêkou, un journaliste de la radio télévision nationale, l’ORTB, qui a présenté une émission sur le sujet. « Les vendeuses et les clients ne connaissent pas vraiment les modes de contamination », ajoute-t-il.
Conscientes de cette menace, les autorités béninoises ont présenté un premier arsenal de mesures le 10 février. L’interdiction des importations de volailles en provenance du Nigeria, le renforcement du suivi sanitaire aux frontières, dans les marchés et les élevages, ainsi que la mise sur pied d’un comité de crise ont été annoncés. « Le risque d’une introduction de la maladie reste très élevé compte tenu de la proximité du Bénin avec le Nigeria. Les deux pays ont 750 kilomètres de frontière commune », a prévenu le ministre de l’Agriculture, de l’élevage et de la pêche, Fatiou Akplogan. La population est donc appelée à signaler immédiatement toute mort suspecte, et à respecter les consignes de sécurité les plus élémentaires (voir encadré pp. 34-35). L’urgence est certes à la protection des populations, mais il s’agit aussi de préserver un secteur en danger, que le pays essaie de développer tant bien que mal afin de diversifier l’économie béninoise. On estime à 15 millions le nombre de volailles élevées dans le pays. En cas d’infection, les abattages systématiques auraient des conséquences dramatiques.
À la frontière orientale du Nigeria, les dégâts que pourrait causer la grippe aviaire sont presque plus alarmants. Le Cameroun partage 1 200 kilomètres de frontières avec le Nigeria et le commerce, licite et illicite, est intense entre les deux voisins.
Dès le 9 février, un comité interministériel s’est réuni à Yaoundé en concluant à un premier impératif : l’interdiction des importations de volailles nigérianes.
Du côté des professionnels, c’est l’inquiétude. La filière avicole, en berne jusqu’en 2004 en raison de l’importation de poulets congelés étrangers vendus à bas prix, commence tout juste à se redresser. Les aviculteurs ne cessent de se battre pour faire vivre leurs fermes, comme l’ont montré la grande manifestation qu’ils ont organisée à Yaoundé en janvier. Leurs efforts pourraient être cruellement réduits à néant s’il fallait abattre toutes les volailles. Les conséquences seraient terribles pour le pays, l’aviculture faisant vivre, d’après certaines estimations, près d’un million de personnes. Sans compter que le poulet fait partie des habitudes alimentaires camerounaises.
Au marché central de Yaoundé, quatre jours après l’annonce de l’apparition des premiers foyers de grippe aviaire au Nigeria, on continue à charger et décharger les paniers, comme si de rien n’était. Les clients commencent à bouder la viande blanche et l’épizootie alimente les conversations. Un groupe d’éleveurs, l’air grave et les bras croisés, se demande si le gouvernement a prévu une quelconque indemnité en cas de contamination de leurs poulets.
Le problème – fondamental – de la détection est rendu compliqué par la maladie de Newcastle, fréquente dans la région. « Les symptômes sont presque les mêmes que ceux de la grippe aviaire », rappelle Bernard Njonga, éditeur du périodique La Voix du paysan et spécialiste du secteur avicole. Pis, les éleveurs n’ayant pas l’équipement nécessaire – masque et gants -, pour se protéger, on voit difficilement comment la transmission à l’homme pourrait être prévenue.
La menace est grande, mais céder à la panique compliquerait le travail des scientifiques. Inutile, rappelle-t-on à Yaoundé, d’envoyer tous les poulets morts au centre Pasteur pour savoir s’ils sont atteints du virus H5N1. Les laboratoires ne pouvant bien évidemment pas analyser tous les animaux, ils ciblent les gros élevages, à partir de 10 000 têtes, car ils sont plus révélateurs. Si la moitié des volailles d’une telle exploitation meurt, il y a de grandes chances pour qu’il s’agisse de la grippe aviaire. Mais la communauté internationale ayant prévu d’indemniser, en partie au moins, les éleveurs, on craint que ces derniers n’envoient, au moindre prétexte, les poulets morts. Ils pourraient aussi tenter de les vendre à bas prix sur le marché, en les faisant passer pour des poulets congelés venus d’Europe. L’importation de ces derniers avait été stoppée, mais elle a de nouveau été autorisée fin 2005, notamment en prévision d’une éventuelle arrivée de l’épizootie. Pour satisfaire à la demande des Camerounais, les importations massives, dénoncées il y a encore peu par les producteurs locaux en faillite, pourraient bien reprendre davantage de vigueur.
Au Cameroun, au Bénin, mais aussi au Tchad, frontalier du premier État nigérian où un foyer de grippe aviaire a été détecté, les scénarios catastrophes sont nombreux. Que les autorités, en dépit de leur discours, ne déploient pas les moyens suffisants pour enrayer la propagation est aussi une crainte. D’après un responsable camerounais, quatre jours après l’annonce du plan de riposte, aucune mesure n’avait encore été mise en uvre dans sa province.

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