Afrique : le maillon faible

Faire mieux que 1 % du marché mondial. Tel est le défi auquel sont confrontés les assureurs africains réunis à Yaoundé du 20 au 24 février.

Publié le 19 février 2006 Lecture : 5 minutes.

La cotisation d’assurance moyenne par Africain est inférieure à 35 euros par an (moins de 5 euros dans bon nombre de pays), quand elle est supérieure à 1 000 euros en Europe, et à 400 euros dans le monde. L’assurance reste une activité marginale dans les économies africaines, mais les professionnels qui animent ce marché difficile ne le reconnaissent qu’à mots couverts. Réunis du 20 au 24 février à Yaoundé, au Cameroun, pour l’assemblée générale annuelle de leur fédération professionnelle, la Fanaf*, ils vont officiellement traiter du développement durable, qui constitue un domaine d’avenir pour leur activité. En coulisses, certains participants pourraient s’élever contre l’apathie des places boursières africaines auxquelles les assureurs doivent adosser leur activité. « La réglementation nous contraint à placer l’argent que nous collectons dans un espace géographique restreint », confie l’un d’entre eux, qui préfère rester anonyme. Tout aussi discret, un autre spécialiste entend prôner « une plus grande intégration régionale, pour créer des marchés plus vastes ». Il est vrai que l’assurance, la banque et les marchés financiers sont trois secteurs indissociables. Les interactions sont importantes et quand la santé de l’un est vacillante, il a tôt fait de contaminer les autres.
À l’inverse, dans le reste du monde, la vitalité des Bourses européennes et les promesses des marchés indien et, bientôt, chinois (voir encadré) permettent aux grandes compagnies d’assurances d’afficher des performances hors normes. La valeur des actions du français Axa, numéro un mondial, s’est envolée de 50 % sur l’année 2005, dépassant largement l’indice boursier du secteur, le DJ Stoxx Insurance, qui affiche pourtant une hausse spectaculaire de 30,5 %. Des chiffres à comparer avec une croissance économique générale d’environ 1,5 % en Europe, 3,5 % aux États-Unis et 5 % dans le monde (les chiffres définitifs ne seront connus qu’en avril). Plus en détail, le total des primes récoltées dans le monde en 2004 par les sociétés d’assurances s’est accru de 9,6 % pour atteindre 3 244 milliards de dollars soit environ quatre fois le PIB du continent africain ou seize fois celui de l’Afrique du Sud (la richesse produite en une année par ses 46 millions d’habitants).
Le graphique des dix premiers marchés mondiaux (ci-dessus) révèle que la croissance est nettement moins forte aux États-Unis (+ 3,8 %) et au Japon (+ 4,1 %), qui totalisent à eux deux près de la moitié des primes collectées dans le monde (49 %), que dans les pays d’Europe occidentale. Chacun d’eux ne représente que 4 % à 10 % du total mondial de primes, mais son marché de l’assurance affiche un taux de progression largement supérieur à 10 %. En d’autres termes, le secteur se comporte mieux dans les pays où il n’est pas suffisamment développé. Quoi de plus naturel ! Avec un tel raisonnement, les pays en développement devraient être encore plus prometteurs. C’est d’ailleurs le cas de la Chine, où les assureurs estiment que chaque point de croissance du PIB entraînera 4 % de croissance de leur activité. Dans une moindre mesure, la règle s’applique également à l’Afrique, où le marché améliore ses performances d’environ 10 % par an. Mais il est très petit : moins de 1 % du total mondial.
Le marché africain de l’assurance est en outre hétérogène C’est le moins que l’on puisse dire. Plus de 90 % des primes collectées le sont en Afrique du Sud. La position des assureurs sud-africains dans l’édition 2005 du classement des cinquante premières compagnies d’assurances africaines, publiée par Jeune Afrique/l’intelligent (hors-série n° 9), a de quoi donner le vertige. Ils trustent les dix premières places et deux d’entre eux (Sanlam et Old Mutual) ont franchi la barre des 10 milliards de dollars de primes collectées. Ils relèguent au douzième rang le réassureur Africa Re avec 300 millions de dollars de primes. La Société africaine de réassurance, de son vrai nom, est l’assureur des assureurs de 41 pays africains. Au total, seules quinze compagnies d’assurances qui ne sont ni d’Afrique du Nord ni sud-africaines figurent parmi les cinquante premières africaines.
Plusieurs raisons à cette sous-représentation. La faiblesse des revenus par habitant et la méconnaissance des produits d’assurance par les populations sont souvent mises en avant. Mais ils n’expliquent pas tout. Pas plus que la nonchalance des professionnels, dont certains se contenteraient de collecter les assurances obligatoires, comme l’automobile, et feraient peu d’efforts pour en vendre d’autres, liées à l’assurance vie. De fait, cette branche, pourtant la plus rentable, représente moins de 10 % du volume des primes africaines. Et 93 % de ce total sont réalisés en Afrique du Sud. Comme souvent, tous ces reproches ont un sens et leur addition a pour conséquence « la lenteur désespérante à laquelle se développe l’assurance en Afrique subsaharienne », selon un observateur. Mais ce ne sont peut-être que des péchés de jeunesse.
Il n’y a guère plus d’une dizaine d’années que le secteur est régulé de manière moderne et adaptée à son environnement économique. Officiellement créée au sein de la zone franc en 1992, la Conférence interafricaine des marchés de l’assurance (Cima) a travaillé à la mise au point d’un ensemble de réglementations, réunies dans le code Cima, qui s’appliquent depuis février 1995 à tous les pays membres (ceux de la zone franc) et où elles sont entrées en vigueur dans l’année qui a suivi. Hier, les sociétés d’assurances évoluaient dans un cadre juridique obsolète, hérité du code des assurances français, qui date de 1938. Aujourd’hui, elles ont entrepris d’améliorer la qualité du service et d’adapter leurs produits aux cultures et aux moyens du terrain. Il leur reste de multiples défis à relever, ne serait-ce que celui de se faire mieux connaître ou encore de former des spécialistes africains dans certains métiers où ils font défaut. Cela passe notamment par l’essor des acteurs régionaux que sont Colina, NSIA (Nouvelle Société interafricaine d’assurances) et le groupe Sunu. Comme le laisse entendre le président de la Fanaf (lire ci-dessous), la constitution de sociétés présentes dans plusieurs pays pour compenser l’étroitesse des marchés et réaliser des économies d’échelle est un préalable à la consolidation de l’assise financière.

*Créée en 1976, la Fédération des sociétés d’assurances de droit national africaines (Fanaf) réunit 115 sociétés d’assurances et de réassurance opérant dans vingt pays du continent : les pays de la zone franc, l’Afrique du Sud, le Burundi, la RD Congo, Madagascar et la Tunisie.

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