Premier coup d’État en Côte d’Ivoire

Publié le 18 décembre 2005 Lecture : 3 minutes.

Au départ, personne – et le président Henri Konan Bédié moins que tout autre – n’a voulu croire possible un coup d’État en Côte d’Ivoire. Dans le pays d’Houphouët-Boigny, stable depuis quarante ans ? Impensable. Aussi, les premiers coups de feu tirés près de la caserne d’Akouédo, à l’est d’Abidjan, n’émeuvent-ils que les voisins. Bédié, informé dès le début, ne s’en inquiète nullement et part, comme prévu, le 23 décembre, vers son village de Daoukro pour fêter Noël en famille. Ce n’est que sur l’insistance de ses proches qu’il se décide à regagner Abidjan dans l’après-midi. Ce jour-là s’ouvre une parenthèse dans l’histoire du pays, qui n’est toujours pas refermée.
À ce moment-là, la situation est déjà passablement confuse, et même explosive. Des négociations sont menées par les ministres de la Défense et de l’Intérieur avec une délégation des mutins, conduite par le sergent-chef Boka Yapi, lequel expose les revendications de ses camarades. Les jeunes gens, vétérans de la Mission des Nations unies en Centrafrique (Minurca), entendent obtenir le paiement d’arriérés de soldes et de primes et, au-delà, l’amélioration des conditions de vie des hommes du rang. Autrement dit, rien de bien grave. Cependant, les promesses ministérielles ne suffisent pas aux révoltés, qui exigent de traiter directement avec le chef de l’État.
Celui-ci ne mesure toujours pas la gravité de la situation malgré les avis de son entourage. Le mouvement s’amplifie. Plusieurs dizaines de soldats font irruption dans les principaux quartiers d’Abidjan, pillant les magasins et incendiant les voitures. Des badauds se joignent à eux. Des voitures particulières et des taxis sont « réquisitionnés », la panique gagne toute la ville.
Dans la nuit, le Premier ministre, Daniel Kablan Duncan, présente un rapport catastrophique à Henri Konan Bédié, qui envisage de « faire une annonce » alors même que la radio et la télévision d’État sont tombées aux mains des soldats. Au petit matin du 24 décembre, ces derniers prennent le contrôle de l’aéroport, puis bloquent les ponts sur la lagune Ébrié, qui relient le nord et le sud de la ville. Abidjan est la proie des pillards, militaires comme civils, qui volent et incendient tout sur leur passage. Lorsqu’il reçoit le groupe de mutins conduit par le sergent Ibrahim Coulibaly, dit IB, à 7 heures ce matin-là, le président a déjà reçu un appel du général Gueï, que les jeunes gens sont allés chercher presque de force. Celui-ci arrive bientôt au siège de Radio Nostalgie, pour y lire un communiqué. À cet instant, il se présente seulement comme le porte-parole des insurgés, mais annonce la destitution du président Henri Konan Bédié, la dissolution de l’Assemblée nationale, du gouvernement et des principales institutions de la République. Un Comité national de salut public (CNSP) est mis en place. Il est composé de neuf officiers et sous-officiers, représentant pratiquement tous les corps d’armée. Il est présidé par le général de brigade Robert Gueï et comprend notamment l’intendant général Lassana Palenfo, le général d’aviation Abdoulaye Coulibaly, le colonel-major Mathias Doué et le sergent-chef Boka Yapi.

Dans les rues d’Abidjan, l’explosion de joie est immédiate. Elle révèle au grand jour le pourrissement latent de la situation politique du pays et, surtout, le ras-le-bol de l’opinion devant un pouvoir qu’elle juge désormais ouvertement xénophobe et corrompu. Il apparaît désormais clairement que Bédié, l’intelligence obscurcie par la crainte de devoir se confronter à son grand rival politique, Alassane Dramane Ouattara, a conduit, au vu et au su de la communauté africaine et internationale, son pays à la dislocation politique et, partant, à une faillite économique certaine.
Vers midi, il comprend enfin que la partie est perdue. Il peut se féliciter de s’être installé, après son retour précipité de Daoukro, non à la présidence, mais dans son bureau situé dans l’ancienne résidence de Félix Houphouët-Boigny, refaite à neuf. Cette dernière est discrètement reliée par un couloir à la résidence de l’ambassadeur de France. Accompagné par toute sa famille et ses proches collaborateurs, soit une trentaine de personnes au total, il demande à être exfiltré de Côte d’Ivoire. Les militaires français vont se charger de cette délicate opération, le départ aura lieu deux jours plus tard.
C’est fini, le président de la République Henri Konan Bédié, successeur désigné d’un père de la nation l’ayant probablement surestimé, qui gouvernait son pays avec beaucoup de nonchalance mais au mieux de ses intérêts personnels, est tombé.

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