Une alliance en lambeaux

Publié le 18 novembre 2007 Lecture : 4 minutes.

La force du mouvement de libération sud-africain a toujours reposé sur sa diversité. Mais les composantes disparates de l’alliance au pouvoir que sont le Congrès national africain (ANC), la centrale syndicale Cosatu et le Parti communiste (SACP) n’ont jamais été aussi proches de la rupture, alors que doit se tenir du 15 au 20 décembre la conférence quinquennale de l’ANC.
Sous l’apartheid, une alliance s’était formée entre le parti, les syndicats, les communistes, les démocrates-chrétiens, les Églises, les étudiants et les intellectuels. Le premier chef de l’État postapartheid, Nelson Mandela, a relevé le défi de réconcilier les Sud-Africains avec leur histoire – sans effusion de sang et en prônant le pardon. Mais ce qu’il est parvenu à réaliser pour le pays s’est avéré plus difficile pour une alliance politique, qui, une fois l’ennemi commun abattu, fut contrainte de faire coexister en son sein des idéologies et des acteurs aux objectifs divergents. Si cette union au pouvoir entre l’ANC, la Cosatu et le SACP venait à éclater, elle pourrait paradoxalement donner naissance à un réel multipartisme. En attendant, l’horizon est flou.
Le deuxième président de l’ère postapartheid, Thabo Mbeki, qui dirige le parti depuis 1997 et se présente de nouveau à sa propre succession, nourrit les mêmes ambitions que son prédécesseur. Il a voulu créer une classe moyenne noire et faire du centre la principale force politique du pays. Son premier objectif a indéniablement été atteint – sur 1 million de fonctionnaires, 800 000 sont aujourd’hui noirs. Le deuxième, en revanche, est à l’origine des tensions qui minent la donne politique sud-africaine depuis trois ans. Mbeki a courtisé les hommes d’affaires, les a fait entrer à l’ANC. Ce faisant, il était bien conscient qu’il perdrait le soutien de la gauche, mais espérait, à l’image d’un Tony Blair, l’appui du centre et de la droite.

Aussi la gauche s’est-elle retrouvée avec un président dont les priorités reposaient plus sur l’instauration d’un climat favorable aux affaires que sur la réduction de la pauvreté, l’éducation ou la santé des millions de Noirs défavorisés. En dix ans, la population vivant avec moins de 1 dollar par jour a plus que doublé, selon le South African Institute of Race Relations. Le Black Economic Empowerment (BEE, forme de discrimination positive) a favorisé l’émergence d’une élite d’hommes d’affaires noirs millionnaires, pour la plupart bien introduits dans les milieux politiques. Ce qui est loin de correspondre à l’idéal de justice sociale de la gauche. En 2004, Mbeki est même allé jusqu’à faire fusionner le New National Party (NPP, héritier du parti de l’apartheid) avec l’ANC. Du jour au lendemain, les militants antiapartheid se sont ainsi retrouvés à la même table que leurs anciens ennemis. Plus grave, la Cosatu et le SACP, qui, jusqu’en 1999, détenaient les leviers de décision au sein de l’ANC, ont dû leur faire un peu de place.
La confrontation était devenue inévitable. Et la bataille de succession pour la présidence de l’ANC, engagée de longue date, n’a pas contribué à faire baisser la tension. En 2004, une enquête interne a révélé que 98 % des membres du SACP souhaitaient rompre immédiatement avec l’ANC. À la Conférence de décembre, les dirigeants, inquiets, vont probablement essayer de trouver un compromis : sauver l’alliance tout en essayant d’installer à sa tête leur propre candidat, l’actuel vice-président du parti, Jacob Zuma. S’ils n’y parviennent pas, ils tiendront, dans la foulée, leurs propres assises pour décider de l’avenir de l’alliance. Le SACP s’est même inscrit comme parti indépendant auprès de la Commission électorale pour se donner la possibilité de présenter ses candidats lors des élections générales de 2009. Une grande première qui témoigne d’un profond malaise.
De plus en plus, la Cosatu et le SACP se comportent comme des partis d’opposition, affichant, par exemple, leur démarche propre en matière de politique étrangère. Quand Mbeki poursuit sa diplomatie discrète – et impopulaire – avec Robert Mugabe, la Cosatu, de son côté, soutient moralement, structurellement et financièrement les syndicats zimbabwéens. Quand Mbeki et Kadhafi se disputent ouvertement sur l’avenir de l’Union africaine (UA), le SACP n’hésite pas à se rendre à Tripoli.

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Reste que l’absence de réels partis d’opposition laisse le champ libre à l’ANC. L’Alliance démocratique (DA) est certes visible et audible, mais reste électoralement faible (12 % aux consultations de 2004) et ses propositions ne soulèvent pas les foules. L’Inkhata Freedom Party (IFP), qui pourrait faire le poids, est mal dirigé. Ses violentes critiques contre toutes les formes de discrimination positive, tel le BEE, peinent à masquer son manque de propositions et sa faible popularité. Et montrent que, pour le moment en tout cas, c’est surtout de la société civile qu’émerge une force d’opposition sérieuse. Ainsi de Treatment Action Campaign (TAC), qui lutte contre le sida et s’engage régulièrement sur le terrain social, comme le faisait l’ANC sous l’apartheid.
En clair, l’opposition d’aujourd’hui ne peut venir que de l’intérieur du parti. Et, parmi les différents courants qui s’y affirment, celui des « inziles » (ceux qui ont combattu l’apartheid sur le territoire sud-africain, par opposition aux exilés que sont les dirigeants actuels), pourrait être une alternative. Avec à leur tête Cyril Ramaphosa, ils ont travaillé, sous l’apartheid, de concert avec les communistes et les syndicats, se sont frottés très tôt à la démocratie interne et à la recherche de compromis. Contrairement aux prises de décision secrètes auxquelles sont habitués les exilés. Et auxquelles l’ANC semble vouloir tourner le dos pour se donner un peu d’oxygène démocratique.

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