Pharaonique !

Les promoteurs se sont spécialisés dans les chantiers monumentaux. Revue de détail des mégaprojets réservés aux riches étrangers.

Publié le 18 novembre 2007 Lecture : 4 minutes.

A Dubaï, la course aux superlatifs est un éternel recommencement. Après l’hôtel le plus haut du monde – le Burj al-Arab, 320 m -, place à la tour la plus haute du monde : Burj Dubai ! En construction depuis septembre 2004, elle pointe déjà à 600 m et devrait atteindre la barre des 800 m le 30 décembre 2008, date de l’achèvement des travaux. Quelque 5 000 ouvriers indiens, pakistanais, bangladais et chinois se relaient jour et nuit sur le site pour tenir les délais démentiels imposés par Emaar, le développeur du projet. Burj Dubai sera l’écrin du premier palace de Giorgio Armani. Le créateur de mode italien s’est en effet laissé convaincre de se lancer dans l’hôtellerie de luxe. L’établissement de 175 chambres occupera plusieurs étages de l’édifice, lui-même implanté au cur de Business Bay, un village de gratte-ciel qui comptera plus de tours que l’île de Manhattan, à New York

L’énumération des chantiers en cours donne le vertige et témoigne de l’insolente prospérité de l’émirat : la Marina, et son millier de buildings déjà sortis de terre ; Dubailand, le centre de loisirs, d’une superficie cinq fois supérieure à celle de Disneyland Paris ; le nouvel aéroport international, d’une capacité de 100 millions de passagers par an ; des centres commerciaux rivalisant dans le gigantisme et la sophistication, à l’instar du Mall of the Emirates, célèbre pour sa piste de ski, ou le Ibn Battouta Mall, et sa décoration inspirée des récits du grand voyageur arabe du XIIIe siècle. Mais la palme – c’est le cas de le dire – revient à l’hallucinante « Trilogie du Palmier ». Ce projet développé par le promoteur Nakheel doit permettre à l’émirat de gagner 70 km de littoral et de doubler ainsi la taille de sa façade maritime. Fabriquées de toutes pièces à coup de milliards de dollars, The Palm Jumeirah (la plus avancée, achevée à 80 %), The Palm Jebel Ali et The Palm Deira seront visibles depuis l’espace. Last but not least : The World, un archipel tout aussi artificiel de 250 îlots, en forme de mappemonde géante dans un ovale de 9 km de long sur 6 km de large. La livraison du produit, destiné aux milliardaires internationaux et aux promoteurs hôteliers, débutera à partir de 2011. Malgré un prix prohibitif (entre 15 et 50 millions de dollars, uniquement pour le terrain), 40 % des atolls ont déjà trouvé preneur. L’Angleterre s’est arrachée. En revanche, l’Afrique, l’Amérique du Sud et une grande partie de l’Europe continentale restent à vendre. Tout un symbole L’immobilier est devenu une industrie florissante à Dubaï. Zakaria Tarhouni, directeur des ventes du groupe Hydra Properties (Abou Dhabi), positionné sur le segment très porteur des villas et immeubles « intelligents », c’est-à-dire proposant une foule de fonctionnalités high-tech, estime à un millier environ le nombre de brokers (« courtiers ») installés dans la ville. « Ce n’est pas étonnant, car la population s’accroît de 5 % à 6 % par an. Le marché est très réactif. Les cols blancs affluent en nombre et veulent être spacieusement logés. Nous leur proposons des biens adaptés à leurs attentes. » Mais dans l’émirat, 70 % des clients sont des investisseurs.

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Dubaï est un des rares endroits au monde où il est possible d’acheter cash un appartement ou une villa. Le blanchiment d’argent ne saurait cependant expliquer, à lui seul, le boom phénoménal du secteur. Pas plus, d’ailleurs, que le rapatriement des capitaux arabes investis, aux États-Unis et en Europe avant le 11 septembre 2001. « L’immobilier de standing à Dubaï est tout simplement un fantastique placement, analyse Youssef Chraïbi, un des stratèges de Dubai Holding. Les appartements du Dubai Marina ne sont pas encore habitables, mais chaque bien a déjà changé de mains 5,5 fois en moyenne. Et les vendeurs ont, à chaque fois, réalisé de juteuses plus-values ! »
Les professionnels affichent un optimisme à toute épreuve. À les entendre, il n’y a pas de bulle spéculative, ni de risque d’effondrement du marché. Et la crise américaine des subprimes n’a eu aucun impact à Dubaï. Car les sociétés qui développent les méga-projets s’autofinancent. Pour schématiser, un building ne sort de terre qu’une fois tous ses appartements vendus sur plans. La clientèle est à l’image de la ville : cosmopolite. « Pour la palme de Jumeirah, les Britanniques représentent un quart de nos acheteurs, précise Aaron Richardson, porte-parole de Nakheel, les Émiratis forment un deuxième quart, les ressortissants du Conseil de coopération du Golfe [composé de l’Arabie saoudite, de Barheïn, du Koweït, d’Oman, du Qatar et des Émirats arabes unis, NDLR] un troisième quart, et le dernier quart se compose d’environ soixante-dix nationalités. » L’engouement pour le real estate (« l’immobilier ») est tel que pratiquement chaque famille dubaïote fait désormais construire un ou deux immeubles, destinés à la location. À raison de 90 000 dirhams (17 000 euros) de loyer annuel, l’affaire est rapidement rentable.

Ce « miracle » ne peut cependant pas occulter une réalité dérangeante, sur laquelle les autorités n’aiment guère s’attarder : la situation de la main-d’uvre étrangère des chantiers. Astreints à des cadences infernales, payés entre 10 et 20 dollars par jour, parqués dans des camps à la périphérie de la ville, dans des baraquements souvent insalubres, privés de leurs passeports, confisqués par les agences de recrutement qui les ont fait venir, ceux que l’on appelle pudiquement les construction workers ressemblent aux esclaves des temps modernes. Ils sont entre 400 000 et 500 000. Fait exceptionnel : un peu plus de 4 000 d’entre eux ont fait grève, trois jours durant, fin octobre, pour réclamer de meilleurs salaires et une amélioration de leurs conditions de travail

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