Diébédo Francis Kéré, l’architecte de l’harmonie sahélienne
On croyait à une lubie. Pourtant, sur le plateau Mossi, le « village opéra » de Laongo se construit. Rêvé par un cinéaste allemand et mis en musique par un architecte burkinabè, le chantier se poursuit.
À un jet de pierre de la capitale, dans la province voisine d’Oubritenga, en face du site granitique de Laongo – célèbre pour son symposium de sculptures à même la roche -, une piste en terre jalonnée de pierres gravées mène à un village d’un nouveau genre. Depuis ce terrain en chantier et légèrement vallonné du plateau Mossi parviennent des voix d’enfants qui ânonnent leur leçon. Atypiques et étonnants, les bâtiments de l’école sont construits en briquettes rouges de terre compactée, la latérite, la terre d’ici. Les plafonds en dur, percés de fines aérations longilignes, laissent entrevoir une toiture de tôle comme en suspension, soutenue par de gracieux châssis.
J’utilise une terre incultivable pour créer des bâtiments où les gens se cultivent.
Terre crue, ventilation naturelle, correspondance évidente entre intérieur et extérieur… Ce style très reconnaissable est celui de Diébédo Francis Kéré, architecte burkinabè de 47 ans qui a installé son cabinet à Berlin (cf. encadré). L’école, fonctionnelle depuis octobre 2011, constitue la partie aboutie d’un projet bien plus vaste, celui du « village opéra ».
Spirale
Le concept est basé sur un complexe entièrement consacré à la musique et autres arts vivants (théâtre, danse, etc.), au coeur d’un village multifonctions (services, logements, etc.), créé ex nihilo. Dans une configuration centrifuge, en plus de l’école primaire, se dressent déjà plusieurs modules, aux formes et dimensions variées, qui reprennent le même principe de fabrication : des salles d’atelier, un réfectoire, un studio d’enregistrement, des logements pour les enseignants, des maisons d’hôtes pour les futurs artistes en résidence et les spectateurs qui souhaiteront s’attarder au village après les représentations… En contrebas de la butte sur laquelle le village prend corps, un escalier de granit, entre végétation et rochers séculaires, mène au Centre de santé et de promotion sociale (CSPS), encore en chantier.
L’idée originale de concevoir et de construire un opéra sur le continent, là où on ne l’attendait pas, a germé dans l’esprit de Christoph Schlingensief. En 2009, bien qu’atteint d’un cancer en phase terminale, le cinéaste et homme de théâtre allemand visite plusieurs villes-hôtes potentielles pour accueillir son projet – que bon nombre d’acteurs culturels qualifient alors de lubie – au Zimbabwe, au Mozambique et au Cameroun, avant d’opter pour le Burkina.
left;" />La marque de fabrique Kéré
Considéré comme l’un des architectes les plus prometteurs de sa génération, enseignant à l’université technique de Berlin, la Technische Universität, dont il est sorti diplômé en 2004, le Burkinabè de 47 ans a installé son cabinet dans la capitale allemande. Depuis dix ans, Diébédo Francis Kéré collectionne les prix pour ses projets et réalisations à travers le monde. Pourtant, c’est la construction, achevée en 2001, de l’école élémentaire de Gando, un village de 5 000 habitants situé à 200 km au sud-est de Ouagadougou, qui lance sa carrière internationale ; son premier grand projet, puisqu’il était encore étudiant, et le plus symbolique, Gando étant son village natal, dont le chef n’est autre que le père de l’architecte.
Primée par la Fondation Aga Khan en 2004, l’école de Gando mettait déjà en application les trois principes qui constituent la marque de fabrique de Kéré : utilisation de matériaux locaux consolidés, construction offrant une régulation naturelle de la température et souci du développement durable. En France, une exposition est actuellement consacrée aux projets de Diébédo Francis Kéré, « Bridging the Gap – Jeter un pont », jusqu’au 28 avril, au centre d’architecture Arc en rêve de Bordeaux. Cécile Manciaux
Au début de la même année, à Berlin, il prend contact avec Kéré. « Nous voulions implanter le projet à Ouagadougou, entre la ville moderne, bâtie, et la ville grandissante, informelle, explique l’architecte. Mais après l’engloutissement du site que nous avions identifié par la terrible inondation survenue en septembre 2009, nous avons évidemment réalisé qu’il fallait trouver un autre lieu, mais aussi concevoir des bâtiments dont les infortunés pourraient s’inspirer, qui pourraient être facilement imités et reproduits… » C’est ainsi que le village opéra est né, délocalisé 50 km plus loin, avec en plus un volet social. Et le chantier a démarré en février 2010. Quelques mois à peine après le début de la construction, en août 2010, Christoph Schlingensief décède à 49 ans. Son ami bâtisseur, plus que jamais déterminé « à concrétiser son rêve », parvient alors à mobiliser encore un peu plus les bailleurs de fonds que sont le Goethe Institut, la Fondation fédérale culturelle et le ministère des Affaires étrangères allemands, qui lui accordent 1,1 million d’euros de financement public.
Récemment, de multiples donateurs privés ont doté le projet de 600 000 euros. Mais il faut encore trouver « 2 à 3 millions d’euros supplémentaires » pour construire la pièce maîtresse du projet, son noyau : la grande salle de spectacle et ses annexes, dont l’emplacement est désigné par des piquets dessinant une coquille. « Le futur bâtiment s’inscrit lui aussi dans la logique de la spirale », explique l’architecte. L’extérieur, composé d’une enveloppe en bois et de murs épais, abritera une scène tournante cursive : « Le modèle du théâtre parfait, qui nous a été offert par les organisateurs du festival de la Ruhrtriennale. Il n’a servi qu’une seule fois. » Face à la scène, et sous une hauteur de plafond de 16 m, des gradins tapissés de tissus burkinabè pourront accueillir 500 spectateurs. « En fait, ce projet n’a pas de fin, s’enthousiasme Kéré. Il va continuer de se développer puisque, désormais, sont également prévus douze modules supplémentaires, un restaurant panoramique et une galerie d’art. Nous avons voulu commencer par l’éducation des enfants des villages avoisinants, pour qu’ils puissent s’investir dans le développement futur de ce site quand ils seront grands. »
Déjà, les élèves de cours préparatoire (CP) reçoivent « des cours d’éveil à l’art et à la créativité, explique Mahamoudou Nacanabo, le coordonnateur culturel du village, pour qu’ils aient des notions et, plus tard, constituent un public avisé ou deviennent des artistes ». Du 16 au 28 juillet dernier, pendant les vacances scolaires, des groupes de jeunes de 5 à 15 ans originaires de villages environnants ont été accueillis pour des « vacances artistiques » avec, au programme, des ateliers de théâtre, danse, musique et film d’animation.
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