Singapour et Katrina

Publié le 18 septembre 2005 Lecture : 3 minutes.

Il y a quelque chose d’effarant dans le laisser-aller de l’Amérique, quelque chose que Katrina a mis en exergue et que l’on a constaté dans les autres pays. C’est en tout cas mon impression en observant cette débâcle depuis Singapour, un État-cité dont le credo est la bonne gouvernance. Si vous deviez choisir un endroit en Asie pour y rester pendant qu’un typhon passe, prenez Singapour. Le patron de la Sécurité civile n’est pas simplement le camarade de chambrée de quelqu’un. On estime ici qu’il faut les personnes les plus qualifiées et les moins corrompues aux postes importants de l’administration, à tel point que le Premier ministre est payé 1,1 million de dollars annuels. Les ministres, les juges de la Cour suprême sont payés à peine moins, les fonctionnaires tous traités de la sorte.
Au début de l’existence de Singapour, la bonne gouvernance était fondamentale, parce que l’opinion générale était que seul le Parti communiste n’était pas corrompu et pouvait faire du social. Le parti au pouvoir se devait donc d’être au moins aussi bon. Depuis que les communistes ont disparu, cette tradition a été maintenue parce que ce pays, dépourvu de ressources naturelles et peuplé de 4 millions d’habitants, ne peut survivre que grâce à l’intelligence. Singapour a ainsi pu se construire des réserves de 100 milliards de dollars.
« Dans les domaines fondamentaux pour notre survie, comme la Défense, les Finances et l’Intérieur, nous recherchons les meilleurs talents », déclare Kishore Mahbubani, doyen de l’école d’administration Kwan-Yew. « Aux États-Unis, s’ils perdent La Nouvelle-Orléans, il leur reste cent villes similaires. Nous sommes un État-cité, nous ne pouvons pas perdre Singapour : il ne resterait plus rien. C’est pourquoi le niveau et le sens de la responsabilité sont si élevés ici. »
Quel contraste avec les États-Unis ! L’an dernier, on y a diminué les budgets de la Fondation nationale pour la science, laissé les théories créationnistes s’installer dans les écoles tout en passant des lois coûteuses sur l’énergie et le transport au beau milieu d’une crise de l’énergie.
Les familles des victimes du 11 Septembre redessinent les agences de renseignements ; le président et les députés tiennent une session nocturne pour discuter de la santé d’une femme, Terri Schiavo, en ignorant les 40 millions d’Américains sans couverture sociale. L’économie semble mue par les procès et les ventes immobilières. Le gouvernement a lancé une guerre en Irak, sans aucune stratégie pour la suite, il diminue les impôts en pleine guerre, laissant aux générations futures le soin de payer.
Un journaliste du Straits Times de Singapour, Sumiko Tan, écrit ceci : « Nous avons été choqués par Katrina. La mort et la destruction sont le résultat logique des catastrophes naturelles. Mais les images de cadavres abandonnés dans les rues, de pillards armés écumant les magasins, de survivants laissés sans secours, les divisions raciales – tout cela n’est pas l’idée que nous avions du pays de la liberté. Si l’Amérique reste immobile lorsque des problèmes surviennent chez elle, peut-elle remplir son rôle de leader du monde ? »
Dans le même journal, Janada Devan explique pourquoi les États-Unis changent. « Naguère, les conservateurs préféraient un petit gouvernement non interventionniste, mais pensaient qu’un pays ne doit pas lésiner pour se doter de tout le gouvernement dont il a besoin. Aujourd’hui, ils estiment qu’il ne faut pas de gouvernement, donc qu’il est inutile d’en payer un, pas même celui qui est en place. Mais il n’y a pas que le gouvernement qui disparaît lorsqu’il est privé de ressources et vidé de son sens. Disparaissent aussi l’esprit de communauté, de sacrifice, la notion de but et d’idéal communs. »

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