Redéploiement tous azimuts

Paris entend donner une nouvelle légitimité à sa présence militaire sur le continent, contestée notamment à Abidjan. Et mettre sur pied le dispositif qui va avec. Revue de détail.

Publié le 18 septembre 2005 Lecture : 5 minutes.

La France veut repenser et réorienter sa présence militaire en Afrique. Et placer ses bases de Dakar, Libreville et Djibouti au service des brigades régionales de maintien de la paix créées par l’Union africaine (UA). Cette évolution, en gestation depuis le lancement, en 1997, du programme pour le Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix (Recamp), a sans doute été accélérée par les tragiques événements de novembre 2004 en Côte d’Ivoire. La France, qui cherche à donner une nouvelle légitimité à la présence permanente de 6 700 (hors opération Licorne) de ses soldats sur le continent, au moment où celle-ci est de plus en plus contestée par une large frange des opinions publiques, notamment à Abidjan, veut faire de la coopération en matière de sécurité avec l’UA une des missions à part entière de ses bases militaires. L’organisation panafricaine entend se doter de cinq brigades sous-régionales de maintien de la paix opérationnelles d’ici à la fin de la décennie.
Sous-équipées, mal entraînées et manquant de moyens de projection, ces forces encore embryonnaires pourront trouver auprès des bases françaises des instructeurs et l’appui en logistique et en matériel. « L’idée est de décliner à plus grande échelle ce que nous faisons déjà dans le cadre de Recamp, explique une source militaire française. Pour cela, nous allons renforcer les états-majors de nos trois futures bases principales, et augmenter le nombre d’officiers généraux, afin d’améliorer la coordination. Nous ne travaillerons plus en vase clos, en nous concentrant uniquement sur l’aspect bilatéral de la coopération, comme c’est le cas aujourd’hui. Et nous souhaitons aussi, à terme, réussir à associer nos partenaires européens à cette démarche. L’Afrique n’est pas et ne doit pas être une chasse gardée. »
Cette réorientation du dispositif, imaginée par le président français Jacques Chirac depuis quelques semaines, devrait être annoncée avant le sommet franco-africain de Bamako, en décembre prochain. Mais elle ne se fera pas au détriment des missions traditionnelles des forces prépositionnées : la protection des ressortissants français en cas de crise et celle des pays alliés en cas d’agression extérieure. Elle n’impliquera ni renégociation ni révision des accords de défense, une solution qui présenterait, aux yeux des responsables politiques et militaires français, l’inconvénient d’envoyer un signal ambigu aux alliés africains, qui pourraient l’interpréter comme un lâchage. « Or rien dans ces accords ne nous oblige à intervenir si nous ne le souhaitons pas, poursuit notre source, sauf dans le cas très précis d’une agression extérieure. Il faut arrêter de fantasmer sur les clauses secrètes de ces accords, qui sont en réalité très anodines. De toute façon, la France ne fait plus et ne veut plus faire d’ingérence, et ne peut y être forcée. »
La France, qui compte toujours cinq bases permanentes en Afrique, n’entend pas se désengager. Mais elle ne restera pas là où sa présence n’est plus souhaitée. L’état-major des armées s’est d’ailleurs résigné à une fermeture du 43e Bataillon d’infanterie de marine (Bima), stationné à Abidjan. Le ministère de la Défense s’attend à ce que le président ivoirien Laurent Gbagbo fasse de cette fermeture un argument électoral. « Tant que l’opération Licorne perdurera, le 43e Bima restera, précise-t-on cependant au ministère. Il n’est pas question de faire passer Licorne sous commandement onusien, et de perdre l’autonomie opérationnelle que nous confère le Bima. »
Prise au piège d’une situation ivoirienne qui échappe à tout contrôle et à toute médiation, la France, qui ne peut ni partir ni agir, est forcée de temporiser. Licorne pourra-t-elle se maintenir indéfiniment sur place ? « Pourquoi pas, répond notre source. Après tout, les Anglais sont bien toujours à Chypre, alors que la partition remonte à 1974 ! » Certes. Mais en attendant, les 3 800 soldats tricolores déployés en « second rideau », en appui aux 6 200 Casques bleus de l’Onuci, grèvent d’un tiers le budget des opérations extérieures. Et coûtent 200 millions d’euros par an. Une ruine.
Le général Irastorza, qui a succédé, en juin 2005, au général Poncet, a reçu pour consigne d’empêcher toute infiltration qui pourrait remettre le feu aux poudres et de tenir la zone de confiance, la bande démilitarisée qui sépare les belligérants. Les Français et l’ONU ont fait clairement comprendre aux deux camps qu’ils s’opposeraient, par la force, à toute velléité de reprise des hostilités. L’aviation loyaliste, détruite ou endommagée après les combats de novembre 2004, ne constitue plus une menace. Un seul aéronef a été remis en état, un hélicoptère lourd MI 24, piloté par des Ukrainiens. Mais il ne peut décoller sans le feu vert de l’Onuci. Les conseillers militaires israéliens, qui assistaient l’armée ivoirienne, et chapeautaient notamment les écoutes et le brouillage des communications françaises, ont eux plié bagage, rappelés par leur gouvernement, conformément à une promesse faite à Paris. « Il reste quelques contractants individuels, des mercenaires, mais Jérusalem essaie de leur mettre des bâtons dans les roues. »
Les militaires français, qui n’hésitent plus en privé à qualifier le régime Gbagbo de « régime fasciste » – ce qui en dit long sur la dégradation des relations entre Paris et Abidjan – ne nourrissent aucune illusion sur les rebelles des Forces nouvelles (FN), qui, à leurs yeux, ne valent guère mieux. Et partagent l’irritation du médiateur sud-africain Thabo Mbeki, qui leur reproche leurs entraves répétées au processus de désarmement. « Les FN n’ont fait aucun geste significatif. Beaucoup d’argent a été dépensé, mais aucune arme n’a été ramassée. Le désarmement est un échec. Les FN n’en veulent pas, car il serait synonyme de leur propre disparition. » Quant aux élections, « Gbagbo, qui était au départ très réticent, s’est laissé convaincre par ses pairs africains qu’un président sortant réussissait toujours à se faire réélire, grâce à l’argent, au bourrage des urnes, à l’intimidation, à la maîtrise des médias. Il est désormais persuadé qu’il peut remporter le scrutin et est fâché du report. Il s’y résignera, car il continuera à assurer ses fonctions, même après la date fatidique du 30 octobre. Tout est possible. Et on ne peut pas exclure l’hypothèse que, dans six mois, Gbagbo soit finalement réélu, et que les FN se retrouvent traquées par les forces de l’ONU… » On n’en est pas encore là.

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