Retour de Pretoria à l’ONU

Publié le 18 juin 2006 Lecture : 3 minutes.

« C’est avec une grande joie, beaucoup d’espoir, et non sans une émotion profonde, que j’accueille aujourd’hui l’Afrique du Sud à l’Assemblée générale des Nations unies » (AG). En ce 23 juin 1994, les propos du secrétaire général Boutros Boutros-Ghali sont salués par une salve d’applaudissements à l’adresse de la délégation sud-africaine. Ses membres représentent, pour la première fois à New York, un gouvernement élu démocratiquement quelques semaines auparavant. Nelson Mandela investi officiellement à la présidence le 10 mai, l’ONU peut enfin clore l’histoire tumultueuse de ses relations avec ce pays trop longtemps maudit.
Le 27 juin 1994, le Conseil de sécurité efface, à son tour, la question sud-africaine de son agenda. Les dix-sept résolutions adoptées contre le régime de l’apartheid depuis le 1er avril 1960 font désormais partie de l’Histoire. Avec le Moyen-Orient, la Corée, le Cachemire, l’ex-Zaïre (au moment de la sécession du Katanga en 1960) et l’Irak, le cas sud-africain compte parmi les casse-tête de la communauté internationale. Le voilà réglé, non sans mal.

C’est dès 1946 que l’Inde, la première, alerte le monde sur ce qui se prépare en Afrique du Sud. L’« Asiatic Land Tenure and Indian Representation Act », voté en juin 1946, enferme la communauté d’origine indienne dans un ghetto. L’Assemblée générale des Nations unies accepte d’inscrire la question à l’ordre du jour. En novembre 1947, le vote de la résolution condamnant Pretoria pour son exclusion des Indiens ne réunit pas la majorité requise des deux tiers. Il faut attendre le 5 décembre 1952, après le lancement de la « campagne contre les lois injustes » menée par le Congrès national africain (ANC) et le Congrès indien sud-africain, pour que l’AG mette en place un comité d’étude chargé de l’apartheid. Chaque année jusqu’en 1960, elle se contentera de « regretter et de s’inquiéter » que le gouvernement sud-africain se refuse à reconsidérer la politique de séparation raciale.
À Johannesburg et au Cap, les Noirs et les Métis ne peuvent pas prendre les mêmes bus ni fréquenter les mêmes plages que les Blancs. Premier ministre depuis 1958, « l’architecte de l’apartheid », Hendrick Verwoerd, peut tranquillement s’atteler à sa tâche de confinement géographique en dessinant les frontières des bantoustans.
Le massacre de Sharpeville, qui a fait 180 morts parmi les manifestants noirs le 21 mars 1960, change la donne. Le 1er avril, le Conseil de sécurité adopte, à la demande de 29 pays africains et asiatiques, sa première résolution contre l’Afrique du Sud. La France et le Royaume-Uni s’abstiennent. Ils le feront encore en août 1963, quand le Conseil de sécurité décidera l’embargo sur la vente d’armes et de matériel militaire à Pretoria. Le 4 février 1972, il se réunit à Addis-Abeba – à la demande de l’OUA -, finit par condamner l’apartheid (résolution 311) et reconnaît la légitimité de la lutte des peuples opprimés d’Afrique du Sud. La France s’abstient. L’année suivante, elle utilise son droit de veto, ainsi que le Royaume-Uni et les États-Unis, pour s’opposer à l’exclusion pure et simple du pays de l’apartheid.
C’est seulement à partir du début des années 1980 que l’attitude de la communauté internationale vis-à-vis de Pretoria se durcit réellement. En 1984, la cause est entendue : la Constitution sud-africaine est rejetée par le Conseil de sécurité.

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Mais ce n’est que dix ans plus tard que Nelson Mandela, devenu président, prend pour la première fois la parole devant l’Assemblée générale. Le 3 octobre 1994, de sa voix rauque, il s’adresse au monde. « Les générations futures trouveront certainement étrange qu’il ait fallu attendre la fin du XXe siècle pour que notre délégation puisse s’asseoir au sein de cette Assemblée, en représentante légitime de notre peuple. Tant que l’apartheid existait en Afrique du Sud, le reste de l’humanité s’en trouvait diminué. Les millions de personnes qui se lèvent, autour de la planète, pour combattre, attendent de cette organisation qu’elle leur apporte une vie digne d’être vécue. Nous prions pour que l’Afrique du Sud que vous avez aidée à naître apporte sa contribution à la réalisation de ces espoirs. Le besoin pressant de frapper à la porte de ce grand édifice, pour tous les peuples opprimés, demande que nous tentions tout. Même l’impossible. »

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