Oui, mais

Autonomie énergétique, économie de devises, réduction des émissions de gaz à effet de serre Si les carburants verts ont bien des avantages, ils ne pourront remplacer tout à fait les produits pétroliers.

Publié le 18 juin 2006 Lecture : 6 minutes.

Une « biocarburant-mania » est en train de se répandre dans le monde entier au rythme des poussées de fièvre du baril de pétrole. En France, le gouvernement a installé, le 7 juin, un groupe de travail baptisé « Flex Fuel 2010 » présidé par l’ancien champion du monde de Formule 1, Alain Prost. Sa mission : identifier une alternative « durable » et crédible au pétrole. Aux États-Unis, le président Bush, pourtant issu du lobby pétrolier, a annoncé un programme de recherche de 150 millions de dollars pour trouver le moyen de fabriquer de l’éthanol à partir du bois, histoire que son pays ne soit plus « drogué » au pétrole moyen-oriental. Volkswagen a annoncé, le 5 juin, qu’il ne produirait plus au Brésil que des véhicules capables de rouler indifféremment à l’essence ou à l’éthanol. La Chine, l’Afrique du Sud, la Malaisie ou la Suède développent leurs capacités de production en biocarburants.
Et les investisseurs leur emboîtent le pas : Bill Gates, fondateur de Microsoft, vient de placer 80 millions de dollars dans un projet éthanol, tout comme Richard Branson, patron de Virgin, qui a créé une filiale, Virgin Fuel, et dépensera 300 millions de dollars en trois ans, toujours dans l’éthanol.
Qu’est-ce qui motive un engouement aussi généralisé pour les carburants dits verts ? D’abord le désir d’utiliser des végétaux poussés sur le sol national afin de retrouver un peu d’autonomie énergétique par rapport aux pays pétroliers, et le besoin d’économiser des devises de plus en plus dévorées par le pétrole. La deuxième motivation est noble, puisque les gouvernements, qui prônent l’usage de biocarburants, veulent réduire les émissions de gaz à effet de serre comme l’oxyde de carbone. Car on estime que l’emploi de biocarburants d’origine végétale dans les moteurs des voitures et des camions contribue entre 2,5 et 3,5 fois moins au réchauffement de l’atmosphère que l’essence ou le gazole. Accessoirement, le développement des biocarburants crée des emplois dans le monde agricole, chargé de fournir la canne à sucre ou le colza nécessaires, et dans les usines, qui transforment ceux-ci en carburant.
Il existe deux grandes familles de carburants bio. La plus répandue est l’éthanol, obtenu à partir des sucres (canne, betterave, maïs, blé) et qui est utilisé pur ou mélangé dans les moteurs à essence. Les principaux producteurs sont le Brésil, les États-Unis et l’Afrique du Sud. Le deuxième groupe est fabriqué avec des huiles (colza, tournesol, palme, soja, coprah, voire avec des huiles de friture). Il est mélangé au gazole et réservé aux moteurs diesels. Ce « biodiesel » a les faveurs de l’Europe, où l’Allemagne et la France en sont les deux principaux producteurs.
Ces carburants de substitution sont utilisés depuis les débuts de l’automobile, mais ils représentent à peine 2 % des carburants consommés dans le monde, car ils posent un certain nombre de problèmes encore mal résolus. Techniquement, les moteurs à essence et diesels acceptent environ 10 % à 15 % de biocarburants mélangés au carburant « fossile » sans transformations particulières. Au-delà, il convient d’adapter le moteur pour lui permettre de résister à une corrosion aggravée et de démarrer à froid sans difficulté. Dans le cas des moteurs « flex fuel », capables de fonctionner indifféremment aux carburants classiques comme aux « végétaux » ou aux mélanges des deux, l’ajout d’un microprocesseur est requis pour réguler l’injection. Dans tous les cas, les biocarburants entraînent une surconsommation de 30 %.
En raison de l’adaptation des moteurs, mais aussi du surcoût de la production des carburants verts, ceux-ci ne sont rentables pour l’automobiliste que s’ils sont détaxés : en Suède, cette détaxation permet de vendre le litre de mélange éthanol-essence à 0,80 euro, contre 1,30 euro le litre d’essence. En fait, le biocarburant devient compétitif quand le baril dépasse 60 dollars. Seul le Brésil a pu supprimer les aides et détaxations diverses qui, des États-Unis à l’Allemagne, coûtent des centaines de millions d’euros ou de dollars aux budgets nationaux : la France y consacre chaque année 200 millions d’euros.
En matière d’environnement, le bilan des carburants d’origine végétale est certes positif. Une étude américaine conduite par Alex Forell de l’Université de Californie, à Berkeley, confirme que les éthanols et les biodiesels émettent 10 % à 15 % de gaz à effet de serre de moins. C’est appréciable, même si on est loin des 60 % ou 70 % annoncés par leurs partisans.
À vrai dire, il n’y a qu’au Brésil que les biocarburants ont percé ; au mois de mai, 75 % des véhicules neufs qui y ont été vendus sont « flex fuel ». Les raisons de cette réussite sont nombreuses. Tout d’abord, les Brésiliens ont été les premiers, sous la dictature militaire, à mettre en place cette filière. Après le premier choc pétrolier, ils ont lancé un plan « ProAlcool » en 1975, afin de limiter la dépendance énergétique de leur pays grâce à la canne à sucre. Malgré la baisse du prix du pétrole dans les années 1980, les Brésiliens ont conservé l’habitude des carburants verts, qu’ils peuvent acheter dans toutes les stations-service.
Deuxième atout, l’éthanol brésilien provient de la canne à sucre, qui possède le rendement énergétique le plus élevé. Troisième avantage : le Brésil est un pays vaste qui s’est hissé à la première place mondiale des producteurs de sucre grâce à ses immenses plantations. Les experts estiment qu’il parviendra sans mal à doubler sa production d’éthanol en quinze ans. Et, si les cours de ce dernier s’effondraient, les Brésiliens auraient les moyens d’augmenter leur production de sucre alimentaire.
Le cas des États-Unis, deuxième producteur mondial d’éthanol, laisse perplexe. D’un côté, les appels du président Bush en faveur de l’usage de l’éthanol suscitent les sarcasmes de nombreux médias : si les États-Unis fabriquent un carburant E 85 (85 % d’éthanol à partir du maïs et 15 % d’essence), il est difficile de se le procurer, car seulement 587 stations-service sur 170 000 le distribuent Pourtant, les États-Unis ont quintuplé en trois ans leur production. Surtout, ils misent sur un procédé de fabrication à partir des fibres cellulosiques (bois, tige de maïs, paille de blé) qui ont un bien meilleur rendement environnemental et réduisent fortement les coûts de production.
« On n’arrêtera pas les États-Unis, estime Jean-Luc Bohbot, directeur général du premier négociant mondial en sucre, le français Sucden. Leur volonté politique a accéléré la demande d’éthanol en Amérique et provoqué des réactions en chaîne d’importations entre les pays. La récolte record de canne au Brésil aurait dû faire baisser les cours. Or ils sont restés stables, parce que les cannes sont plus utilisées désormais pour faire de l’éthanol que du sucre. »
Et l’Europe ? Elle est à la traîne et produit trois fois moins d’éthanol que les États-Unis. La Suède semble décidée à subventionner au maximum sa filière éthanol basée sur les vins déclassés. L’Allemagne et la France préfèrent la solution biodiesel. Mais tout reste à faire sur le Vieux Continent : équiper les véhicules avec des moteurs adaptés, harmoniser les aides fiscales et les spécificités techniques des carburants, aménager le système de distribution.
Dans le tourbillon des déclarations gouvernementales soucieuses de « faire vert » et d’annoncer l’avènement prochain des biocarburants, la position du groupe français PSA (Peugeot-Citroën) est un rappel à la raison. « Nous sommes totalement favorables à ces carburants, explique Marc Bacqué, porte-parole du groupe pour l’innovation, la technologie et l’environnement ; 80 % de nos ventes au Brésil sont des véhicules flex fuel, c’est-à-dire capables de rouler jusqu’à 100 % à l’éthanol. Mais le modèle brésilien n’est pas transposable en Europe. Chez nous, la meilleure et la plus économique façon de diffuser les biocarburants est de les mélanger avec le carburant fossile pour les diffuser progressivement à l’ensemble du parc automobile sans avoir à modifier celui-ci. » Autrement dit, le carburant d’origine végétale complétera les produits pétroliers de plus en plus, mais ne les remplacera pas.

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