Menaces de tous ordres

Publié le 18 juin 2006 Lecture : 6 minutes.

La formation d’une armée et d’une police nationales intégrées est l’un des chapitres importants de l’Accord global et inclusif signé par la classe politique congolaise à Pretoria, en Afrique du Sud, le 17 décembre 2002. Pour répondre à cette exigence, le gouvernement de transition a adopté, en mai 2005, un plan de restructuration de la « grande muette » en trois étapes : formation de brigades d’infanterie chargées d’assurer la sécurité durant la période électorale ; formation d’une unité de réaction rapide et constitution, d’ici à 2010, d’une force de défense aux dimensions de la République démocratique du Congo (RDC). Il s’agissait de réunir des éléments des ex-Forces armées congolaises (FAC), les anciens rebelles du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), ceux du Mouvement de libération du Congo (MLC), les différentes milices (notamment les Maï Maï) et autres groupes armés et d’autodéfense.
Outre une Commission nationale de désarmement, démobilisation et réinsertion (Conader), la Structure militaire d’intégration (SMI) a été créée pour les aspects militaires. Tout cela avec l’appui de la Mission de l’Organisation des Nations unies au Congo (Monuc) et du Comité international d’accompagnement de la transition (Ciat). Une querelle de chiffres, entre autres, a retardé d’un an le démarrage du programme. Combien d’hommes sont-ils concernés ? Les 340 000 initialement annoncés ? Davantage ? Beaucoup moins ?
Une enquête menée par des experts sud-africains, en juillet 2005, avance qu’il y aurait 40 % à 60 % de soldats fantômes par rapport à ce chiffre. Mais aujourd’hui on parle de 120 000 hommes, les membres de la garde présidentielle et les combattants non déclarés par les anciens belligérants n’étant pas pris en compte. Une source de la Monuc indique, elle, 144 000 hommes, « un morceau trop gros pour la communauté internationale, car il faut une coalition de pays pour mettre la main à la poche ».
Deuxième explication du retard, le fait pour le gouvernement de trop dépendre de l’aide extérieure pour financer le processus et une inflation des partenaires sur le dossier. Résultat : le futur président pourrait trouver, au mieux, 16 brigades formées sur les 18 prévues. Mais ces soldats des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) traversent déjà une situation sociale difficile. Ceux qui ont été envoyés dans le Kivu ou dans l’Ituri (province Orientale) se sont vite transformés en pillards à la première occasion.
Comment, dans ces conditions, conduire à son terme le programme de Désarmement, démobilisation, réinsertion (DDR) ? Aujourd’hui, seuls 12 000 ex-combattants ont été démobilisés. Quelque 7 000 sont déjà au stade de la réinsertion, selon un responsable de la Conader. Mais la lenteur du processus est telle que l’on craint, même au niveau de la Conader, un échec dont la conséquence serait, au pire, la tentation, surtout chez les anciens miliciens, de renouer avec les vieux démons. Dont la persistance d’un climat d’insécurité n’est pas le moindre. Sur ce chapitre de la violence, le futur président devra trouver une réponse rapide dans des régions comme le Katanga, le Nord-Kivu, le Sud-Kivu, la province Orientale. En gros, tout l’est du pays.
Le Katanga, surtout dans sa partie septentrionale, a été le théâtre, ces derniers mois, d’une guerre d’usure menée par des miliciens Maï Maï qui sévissent dans le désormais tristement célèbre « triangle de la mort », zone comprise entre les villes de Mitwaba, Pweto et Moba, à quelque 600 kilomètres au nord de Lubumbashi, la capitale de la province. La reddition, le 12 mai, du chef maï maï Kyungu Mutinga, dit Gédéon, et de 150 de ses hommes, si elle a rassuré la population du Nord-Katanga, pourrait n’être qu’une accalmie.
Dans son rapport publié en janvier 2006, l’ONG de prévention des conflits International Crisis Group (ICG) présente cette province comme « l’une des régions les plus violentes de la RDC ». Le document indique qu’elle reste un test clé dans « l’intégration de l’armée, l’élimination des chaînes de commandement parallèles, ainsi que l’éradication de la corruption ». D’autant qu’il y règne des tensions entre les Katangais du Nord et ceux du Sud, qui se croient plus utiles économiquement. Et que des tiraillements se font également jour entre les Katangais et leurs compatriotes venus d’ailleurs, des Kasaïens pour l’essentiel, devenus « indésirables », comme ce fut déjà le cas dans les années 1990.
En 2005, le gouvernement avait arrêté quelques personnes, dont des proches de l’ancien Premier ministre Moïse Tshombe, sous l’accusation de tentative de sécession. Mais aucune preuve n’est encore venue l’attester. Éviter que le Katanga, pendant longtemps poumon économique du Congo, ne soit à nouveau tenté par le séparatisme comme en 1960, voilà une autre préoccupation pour le futur chef de l’État.
Le Nord-Kivu, à cause de sa proximité avec le Rwanda, est toujours une zone à haut risque. Selon l’expression d’un membre de la Monuc, c’est une province où tout le monde se regarde en attendant que quelque chose se produise. C’est le « fief » du général Laurent Nkunda, officier de l’armée issu des rangs du RCD entré en dissidence en 2004, pour, a-t-il déclaré, défendre la communauté tutsie. Nkunda, proche de Kigali et objet d’un mandat d’arrêt international délivré par la RDC, s’est installé avec ses hommes dans la zone de Rutshuru, dans le Nord-Kivu.
Et « comme il n’attaque personne », explique une source onusienne, « pourquoi aller le chercher ? ». Mais le futur président ne pourra laisser les choses en l’état. Il devra soit utiliser la manière forte pour mater Nkunda soit négocier son retour dans les rangs. Dans le Sud-Kivu, « l’insécurité se porte à merveille », affirme l’avocat Ide Biabuze, militant des droits de l’homme à Bukavu. Il pense sans doute à la présence des miliciens des Forces de libération du Rwanda (FDLR) dans les deux Kivus.
Depuis quelques mois, l’armée, appuyée par la Monuc, a lancé des opérations contre ces combattants pour obtenir leur retour chez eux, de gré ou de force. Les bonnes dispositions de Kigali à l’endroit de Kinshasa n’y sont pas étrangères. Selon un fonctionnaire de la Monuc, « le Rwanda a montré ces derniers temps des signes de réchauffement de ses relations avec la RDC ». De fait, pour montrer sa bonne foi, Kigali a promis de transmettre à son voisin une liste de personnes qu’il considère comme « génocidaires » et qui doivent être poursuivies. Cette liste serait déjà en cours d’élaboration ou en train de circuler dans les ambassades.
Mais le fonctionnaire onusien n’en précise pas moins que, dans le Sud-Kivu, « il y a un front commun contre la présence des combattants rwandais ». Ce que confirme Me Ide Biabuze. Curieusement, révèle cet avocat, une délégation de parlementaires britanniques s’est rendue dans le Kivu en mai dernier. Motif du voyage : convaincre les autorités locales d’accepter l’idée d’une installation définitive des ex-combattants rwandais dans leur province. Une nouvelle source de tensions que devra gérer le futur numéro un congolais.
Autre dossier chaud, le district de l’Ituri, où diverses milices ont repris du service avec, en arrière-plan, le conflit foncier entre Hema et Lendu. Ces milices, qu’il s’agisse du Front des nationalistes et intégrationnistes (Fni) de Peter Karim, ou du Mouvement révolutionnaire congolais (MRC) semblent déterminées à défier l’autorité centrale. Comme le font également, dans le Bas-Congo (ouest du pays), les adeptes du mouvement politico-religieux Bundu dia Kongo, dont les dirigeants prônent un système confédéral.
Ils veulent retrouver leur autonomie et reconstituer l’ancien royaume de Kongo, qui s’étendait sur un territoire englobant les actuels RDC, Congo-Brazzaville, Angola et Gabon. Les différents affrontements entre la police et les membres du Bundu dia Kongo ont fait plusieurs morts dans le Bas-Congo, province qui abrite le principal port du pays : Matadi, sans lequel ni le pays ni a fortiori son chef de l’État ne pourraient respirer.

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