Cette fois, c’est la bonne !

Après un demi-siècle de conflit, les deux pays ont enfin conclu, le 12 juin près de New York, un accord concernant la péninsule – riche en hydrocarbures – de Bakassi.

Publié le 18 juin 2006 Lecture : 3 minutes.

L’Histoire retiendra que c’est dans l’un des plus luxueux domaines de Long Island, celui de Greentree, propriété du milliardaire et philanthrope américain John Hay Whitney (aujourd’hui décédé), qu’a été enfin réglé le sort de 700 km2 de marais et de mangrove connus des seuls diplomates, au cur du golfe de Guinée. Lundi 12 juin, à 12 heures, le Camerounais Paul Biya et le Nigérian Olusegun Obasanjo ont, en compagnie de Kofi Annan, le secrétaire général de l’ONU, et des représentants de quatre « États témoins » (États-Unis, France, Royaume-Uni et Allemagne), paraphé l’accord qui met un terme à un demi-siècle de contentieux à propos de la petite péninsule de Bakassi, riche en flore rare, en poissons, en moustiques, en pétrole et en gaz offshore, mais aussi, et surtout, en symboles.
Élaboré sous la houlette du représentant spécial de Kofi Annan, le Mauritanien Ahmadou Ould Abdallah, après une quinzaine de réunions de la commission mixte camerouno-nigériane, ce document confirme l’appartenance de Bakassi au Cameroun, donne trois mois au maximum à l’administration fédérale du Nigeria pour s’en retirer et définit pour la péninsule un régime transitoire spécial de cinq ans pendant lesquels une équipe de fonctionnaires civils dépêchés par l’ONU observera et accompagnera le processus. Des garanties précises ont été fournies à la population nigériane de Bakassi (qui oscille entre 25 000 et 250 000 individus en fonction des saisons de pêche) afin qu’elle puisse continuer à vivre et travailler sur place, sans changer de nationalité. Enthousiaste, Annan n’hésite pas à voir dans cet accord « exemplaire » un modèle « créatif, peu coûteux et efficace ».
Faut-il y croire ? La question, il est vrai, peut se poser. Depuis la décision irrévocable de la Cour internationale de Justice de La Haye, en octobre 2002, accordant au Cameroun la pleine souveraineté sur ce territoire, le Nigeria a multiplié les manuvres dilatoires. En octobre 2004, il parlait ainsi de la nécessité d’un référendum auprès des populations concernées (en majorité nigérianes). En juin de l’année suivante, l’armée fédérale a tiré au canon, à plusieurs reprises, sur les positions camerounaises. Comme en 1981, les deux voisins étaient alors au bord de l’affrontement.
Cette fois, pourtant, les auspices n’ont jamais été aussi favorables à un règlement définitif. Kofi Annan, qui souhaitait ardemment pouvoir porter ce succès à son crédit avant l’expiration de son mandat, à la fin de cette année, a pesé de tout son poids auprès des Américains et des Britanniques, lesquels ont relayé ses pressions auprès d’Obasanjo.
Mais c’est sans nul doute l’évolution de la situation politique intérieure nigériane qui a été déterminante. Corseté par une opinion hostile – surtout dans l’État frontalier de Cross River – à toute perspective d’« abandon » de Bakassi, Obasanjo ne pouvait que maintenir une ligne dure tant qu’il espérait pouvoir solliciter un nouveau mandat présidentiel en avril 2007. Contrarié dans ses projets et contraint de céder la place dans moins d’un an, il a désormais les mains libres pour soigner son image de marque internationale : celle d’un homme de paix.
Outre la signature de l’accord de Greentree, le président nigérian a donc fait le geste qu’on attendait de lui. De retour à Abuja, il a, le 15 juin, confirmé dans un discours à la nation la fin des revendications de son pays sur la péninsule et le retrait prochain de son administration. « Malgré notre déception », a-t-il tout de même précisé, histoire de relever l’amertume du médicament. Même s’il n’est pas sûr que la perte de Bakassi passe comme une lettre à la poste auprès des populations du Sud-Est, très attachées à la « nigérianité » de ce petit territoire, on voit très mal le successeur d’Obasanjo revenir sur cette décision historique prise dans le cadre des Nations unies et devant des témoins contraignants.
La sage attitude des Camerounais devrait, dans tous les cas, y contribuer. Soutenu par l’ensemble de la classe politique de son pays, Biya s’est bien gardé, le 12 juin, de tout triomphalisme chauvin. Tout comme il s’est efforcé, pendant les années de crise, de ne jamais tomber dans le piège des provocations de son voisin. À aucun moment, les quelque 3 millions d’immigrés nigérians vivant au Cameroun n’ont ainsi été persécutés. Quand un accord de paix est conclu entre hommes d’État, cela facilite tout de même beaucoup les choses

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