Un acte stupide et désespéré

Publié le 18 mars 2007 Lecture : 3 minutes.

Il y a quatre ans, dans la nuit du 19 au 20 mars 2003, les armées américaine et britannique (plus celles de quelques pays supplétifs) envahissaient l’Irak pour y remplacer le régime (jugé hostile à leurs intérêts et à Israël) par un autre qu’ils auraient choisi, installé et imposé.
N’ayant pu obtenir ni l’aval de l’ONU ni l’adhésion de l’opinion internationale, mais ayant entraîné dans leur sillage José María Aznar pour l’Espagne et Silvio Berlusconi pour l’Italie, le président américain George W. Bush et son comparse Tony Blair ont choisi « d’y aller ».
Leur calcul était simple : pour illégale qu’elle soit, l’aventure dans laquelle ils se lançaient ne pouvait que réussir, militairement et politiquement. La prise serait belle et, mis devant le fait accompli, les opposants à la guerre seraient obligés de se taire.
Ce beau calcul a été déjoué et le « mission accomplie » claironné le 1er mai 2003 par George W. Bush à bord du porte-avions USS-Abraham-Lincoln est vite apparu comme le comble de l’illusion.
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La guerre d’Irak n’est plus gagnable par les États-Unis, auxquels elle a déjà coûté, en morts et blessés, en centaines de milliards de dollars gaspillés, vingt fois plus que ce qu’ils avaient prévu. Elle est déjà un désastre pour ce malheureux pays qui en est le théâtre, pour ses voisins – et aussi pour Bush, Cheney, Rumsfeld et Blair qui en sont les auteurs.
George W. Bush lui-même le sait et sa décision d’envoyer des renforts militaires à Bagdad n’est qu’une gesticulation pour couvrir le début de la retraite.
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Mais il entend, avant de céder le pouvoir à des Irakiens – qui lui doivent tout et peuvent difficilement lui refuser ce qu’il convoite -, leur faire voter une loi qui autorise le transfert des réserves pétrolières – actuellement propriété de l’État irakien – aux sociétés privées internationales, anglo-américaines pour la plupart
Le projet de loi est devant le Parlement irakien. Condoleezza Rice, l’ambassadeur Zalmay Khalilzad et les généraux américains ont pour mission de conjuguer tous les moyens d’influence et de pression dont ils disposent pour que les députés le votent.
S’ils y parviennent, ce sera un hold-up et l’aveu que l’un des principaux buts de la guerre était bien de faire main basse sur le pétrole irakien.
Voici ce qu’en dit l’analyste Antonia Juhasz(1) :
« Si elle est votée, la loi sur le pétrole enlèvera au gouvernement de Bagdad la plus grande partie de la production irakienne et la donnera aux compagnies pétrolières internationales pendant une génération ou plus. []
Depuis l’invasion de mars 2003, l’administration Bush a multiplié les pressions pour faire passer cette loi sur le pétrole. [] L’industrie pétrolière irakienne, jusqu’ici entreprise nationalisée fermée aux compagnies pétrolières américaines, sauf pour des opérations de marketing (d’ailleurs très lucratives), deviendrait une industrie entre les mains du privé, pleinement ouverte aux compagnies internationales.
L’Iraq National Oil Company n’aurait plus de contrôle que sur 17 des 80 champs pétrolifères connus, et laisserait la grande majorité des gisements connus – et la totalité de ceux qui restent à découvrir – à des exploitants étrangers.
Les compagnies étrangères n’auraient pas l’obligation d’investir leurs profits dans l’économie irakienne, de s’associer avec des compagnies irakiennes, d’engager du personnel irakien ou de partager les technologies nouvelles. []
Les cinq fédérations syndicales irakiennes, qui représentent des centaines de milliers d’ouvriers, ont publié un communiqué affirmant leur opposition à la loi et refusant la mainmise des compagnies étrangères sur le pétrole, qui porterait gravement atteinte à la souveraineté de l’État et à la dignité du peuple irakien. »
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Nous savons tous que l’Irak abrite les plus grandes réserves de pétrole du monde, après celles de l’Arabie(2), et que ce que les Américains tentent de faire faire à leurs protégés irakiens va à l’encontre de ce qui se pratique, depuis plus d’une génération, dans le reste du monde – y compris au Koweït et en Arabie saoudite, voisins de l’Irak – où la propriété du pétrole a été retirée aux compagnies privées anglo-américaines.
C’est dire que cette tentative de « se payer sur la bête » est, de surcroît, un acte stupide et désespéré : si elle passe, la loi scélérate analysée ci-dessus a en effet peu de chances de survivre longtemps à l’actuel mandat de George W. Bush et aux Irakiens qui se seront déshonorés en la votant. n

1. Antonia Juhasz, expert international, analyste de la société Oil Change International, est l’auteur de « The Bush Agenda : Invading the World, One Economy at a Time ».
2. Les réserves de l’Irak sont évaluées à 115 milliards de barils, soit 9,6 % des réserves mondiales.

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