De quoi donner le tournis

Publié le 18 mars 2007 Lecture : 3 minutes.

Que les candidats s’en inquiètent ou s’en rassurent, c’est le constat le plus significatif de la campagne présidentielle. À l’interrogation la plus simple : « pour qui allez-vous voter le 22 avril ? », 40 % à 50 % des personnes répondent « je n’en sais rien ». On comprend leur désarroi.
Alors qu’au début de la précampagne tout semblait désigner une finale gauche-droite, le paysage politique ne cesse de se modifier à mesure qu’on approche de la campagne officielle. Quel sera l’affrontement final ? Bayrou-Royal, Bayrou-Sarkozy, Royal-Sarkozy ? Où en sera Le Pen, qui a obtenu – comme on n’en a jamais vraiment douté – ses 500 signatures ? Les instituts sont assez d’accord avec la remarque de Ségolène Royal : « Les gens jouent avec les sondages pour donner des signes. » Mais les candidats eux-mêmes ne clarifient pas la situation en paraissant courir après les résultats des enquêtes dans une erratique navigation à vue où alternent changements de cap et virements de bord, selon la bonne vieille pratique du « ratisser large » pour rafler le maximum de voix. Car c’est bien là qu’en est arrivée la campagne d’où s’est discrètement éclipsé le mot « rupture ».

Quant aux électeurs, submergés par un maelström de déclarations, sondages et directs audiovisuels où tous les engagements finissent par se confondre sous le feu roulant des mêmes questions, comment n’auraient-ils pas le tournis ? On leur apprend un matin que Nicolas Sarkozy, menacé par la montée de François Bayrou, droitise son discours et flirte avec les thèmes du Front national pour récupérer la part de l’électorat lepéniste dont il a besoin. D’où son projet de ministère de l’Immigration, associé à la défense de l’identité nationale. On leur explique le lendemain que la faiblesse de la gauche oblige Ségolène Royal à un acrobatique grand écart pour rassembler, des Verts jusqu’à Besancenot, les suffrages dont la défection a été fatale à Lionel Jospin, et marauder en même temps chez les sympathisants centristes. Marie-George Buffet s’indigne : « Elle ne prononce même plus le mot de gauche dans ses discours. » Et lance l’alarme. Elle trouve « incroyable » qu’après cinq années de gouvernement « dur et autoritaire » la droite et l’extrême droite totalisent 60 % des intentions de vote, et l’ensemble des gauches seulement 33 %. Un tel décalage est effectivement sans précédent depuis que François Mitterrand, après avoir maintes fois rappelé que la France était sociologiquement à droite, avait réussi à la mettre politiquement à gauche avec l’aide de Le Pen. Dans une situation aussi indistincte, comment n’y aurait-il pas autant d’indécis ?

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Le phénomène, s’il est cette année d’une exceptionnelle ampleur, n’est pas nouveau, au point que l’historien Jean-Noël Jeanneney avait voulu appeler « la surprise du chef » une rétrospective télévisée des élections présidentielles. Qu’on en juge. 1965 : ballottage inattendu de De Gaulle ; 1969 : percée du centriste Alain Poher, qui se retrouve face à Pompidou au second tour ; 1974 : le présumé dauphin naturel de Pompidou, Chaban-Delmas, s’écroule dès le premier tour, ouvrant la voie de l’Élysée à l’outsider minoritaire, Giscard d’Estaing ; 1981 : défaite de Giscard, qui se croyait assuré de la victoire, face à François Mitterrand ; 1988 : la finale Barre-Rocard, qui pimenta longtemps les spéculations, se termine par un duel Chirac-Mitterrand ; 1995, l’affrontement souvent annoncé entre Chirac et Balladur voit Lionel Jospin arriver en tête au premier tour ; 2002, ce n’est plus la surprise mais la stupéfaction : Le Pen devance le favori Jospin et provoque la réélection historique de Chirac avec 82,2 % des voix. n

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