Ségolène, ça décoiffe !
En vieux routier désabusé, Jacques Chirac était sans doute le premier à ne pas se faire d’illusions. Pendant qu’il prononçait, à Cannes, son discours d’adieu à l’Afrique, ses pairs auditeurs – tout au moins ceux pour qui le rapport avec la France a des implications en termes de politique intérieure – avaient la tête ailleurs. De quoi sera faite, se demandaient-ils, la relation franco-africaine au lendemain de l’élection présidentielle ?
Concernant le candidat Nicolas Sarkozy, deux repères relativement précis existent en la matière : son discours de Cotonou, en mai 2006, et une longue interview à Jeune Afrique, en novembre.
Côté Ségolène Royal, hormis quelques petites phrases, rien de substantiel jusqu’à la publication le 8 février dans Témoignage chrétien – hebdomadaire de gauche proche des ONG et des milieux altermondialistes – d’un « Projet pour l’Afrique » certes sans grandes surprises, mais qui confirmera les craintes de quelques baobabs orphelins du « grand Jacques ». Pour la candidate socialiste, le diagnostic politique est sans appel : les deux mandats Chirac ont été, en ce domaine, synonymes d’« immobilisme », de « désordres sans précédent », d’« amitiés personnelles » coupables, de « politique clientéliste » et d’association de la France « aux régimes les plus contestables du continent ».
Au passage, Royal exécute en trois lignes les positions de son principal rival : « Les récentes déclarations du candidat de l’UMP, qui s’inscrivent sans retenue dans les mêmes réseaux que le président Jacques Chirac, ne sont pas de nature à rassurer. » Allusion transparente aux amitiés, revendiquées par Sarkozy dans son entretien avec J.A., avec Omar Bongo Ondimba, Denis Sassou Nguesso et quelques autres.
Le réquisitoire achevé, place aux propositions. Royal annonce un aggiornamento de la relation franco-africaine fondé à la fois sur la transparence à tous les étages et sur ces deux piliers d’une « rénovation politique » que sont les ONG et les sociétés civiles. Dans ce cadre, la candidate se veut sans concessions :
– « Renégociation » ou, au minimum, « clarification » de tous les accords de défense et de coopération militaire en cours entre la France et les pays africains.
– Débat obligatoire préalable à l’Assemblée nationale en cas d’intervention armée dans un conflit en Afrique.
– Appui systématique à tous les mécanismes contribuant à l’émergence et au renforcement de la démocratie et des droits de l’homme. En l’occurrence les sociétés civiles et les ONG, par qui transitera désormais un pourcentage non négligeable de l’aide française.
– Fin des « pratiques qui ont terni l’image de notre pays en Afrique » et incitation lourde auprès des régimes en place afin qu’ils incluent « l’opposition et la société civile dans le jeu démocratique ». C’est le seul moyen, estime Royal, d’éviter que « nous nous trouvions réduits à intervenir militairement dans la précipitation au profit de régimes réputés amis » – comme au Tchad et en Centrafrique.
– Obligation pour les entreprises françaises de « publier ce qu’elles paient » – c’est-à-dire de rendre publiques les sommes versées aux États pour l’exploitation de leurs richesses naturelles. « Les citoyens africains, écrit Royal, ont le droit de savoir ce que leurs gouvernements perçoivent des compagnies étrangères, et les consommateurs français doivent pouvoir s’assurer que l’essence qu’ils achètent n’entretient pas un régime despotique. »
– Soutien actif aux mouvements qui luttent contre l’excision, pour le droit des femmes à maîtriser leur fécondité et à une juste représentation politique.
– Accent mis le plus fermement possible sur toutes les initiatives favorisant le développement durable (microcrédit, commerce équitable, énergies renouvelables, etc.).
– Aide publique portée à 0,7 % du PIB.
En somme, et même si le dossier numéro un du moment – la Côte d’Ivoire de l’opération Licorne et du « camarade Laurent » – n’est curieusement (ou prudemment) pas abordé, ça décoiffe. « Si cette dame est élue, ce sera le pouvoir aux ONG ! » s’exclamait devant nous il y a peu, visiblement inquiet, un chef d’État pilier de la « Françafrique ». Avant de tenter de se rassurer : « Mais elle se heurtera vite au principe de réalité, comme Mitterrand lorsqu’il dut se résoudre à écarter Jean-Pierre Cot. » Voire Vingt-cinq ans après, ce n’est plus la politique française en Afrique qui est en avance sur les réalités, les pesanteurs et les résistances du terrain. C’est l’inverse.
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