« Semence ou poussière ? »

Publié le 18 février 2007 Lecture : 6 minutes.

Curieuse semaine que celle qui vient de s’écouler : actualité africaine et internationale foisonnante, série d’événements dont on a du mal à saisir l’importance, à dire s’ils auront des lendemains et, dans ce cas, si les suites seront heureuses ou néfastes.
Je n’ai pu m’empêcher de penser à la méditation de cet analyste, que sa familiarité avec l’Histoire a conduit à nous recommander de ne juger les événements qu’avec de l’humilité et la plus grande prudence :
« On ne sait jamais, dans la vie, ce qui est semence et ce qui est poussière et si ce que nous considérons sur le moment comme des catastrophes n’annonce pas des résurrections »
« L’Histoire est une succession d’efforts qui ont échoué, d’aspirations qui n’ont pas abouti, de souhaits qui se sont réalisés et qui se sont ensuite révélés différents de ce que l’on attendait »
« L’historien vit avec le sentiment de la fatalité de la tragédie ; l’homme d’État doit agir en prenant pour hypothèse que les problèmes peuvent et doivent être résolus. »
Des événements de la semaine, j’en retiendrai trois et tenterai d’évaluer leur importance, leur signification, leurs conséquences.

Le moins signifiant est probablement le sommet Afrique-France qui s’est tenu à Cannes, en France, les 15 et 16 février. À tort et par habitude, nous consacrons à ce rassemblement bisannuel – le dernier de l’ère Chirac – beaucoup de place (voir pp.12-18). Il permet à des chefs d’État, qui ont moins de pouvoir qu’on ne le pense et dont certains ne sont guère représentatifs de leur peuple, de se rencontrer, de se parler, d’écarter des malentendus, d’échanger des promesses.
Mais il n’est pas sûr qu’émane de ces rencontres un résultat à la mesure du temps consacré et de l’argent dépensé : quelles retombées concrètes pour la Guinée ou le Tchad ? Pour le Darfour ou la Somalie ou le Zimbabwe ?
Et la Côte d’Ivoire ? Son destin se décide ailleurs : s’il y a une chance de retour à la paix et à l’unité pour ce pays cassé en deux, elle se joue dans les rencontres et discussions entre Laurent Gbagbo et Guillaume Soro, facilitées par le président du Burkina et de la Cedeao, Blaise Compaoré, plus utile à Ouaga qu’à Cannes.
On nous annonce que le prochain sommet Afrique-France se tiendra en Égypte en 2009. Je ne suis pas le seul à douter qu’il en sera ainsi, tant il paraît évident qu’il faut savoir arrêter une institution qui a fait son temps et dont l’utilité tend vers zéro.
Et la remplacer par une rencontre bisannuelle Europe-Afrique, de continent à continent.

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L’événement le plus inattendu et qui a fait beaucoup de bruit est l’accord auquel sont parvenus les États-Unis, la Chine, le Japon, la Corée du Sud et la Russie avec la Corée du Nord.
Ce pays a fini par accepter de « geler » ou de suspendre ou d’interrompre ou de démanteler tout ou partie de son programme nucléaire militaire(1).
En contrepartie :
– d’une aide annuelle en pétrole, en électricité et en vivres ;
– d’assurances, principalement américaines, de levée des sanctions qui le frappent ;
– de la promesse faite par les États-Unis d’abandonner leurs velléités ou tentatives de changer le régime en place à Pyongyang.
Le New York Times observe, à juste titre : « George W. Bush aurait probablement pu obtenir cet accord il y a des années, sauf qu’il avait décidé qu’il n’était pas obligé de négocier avec des gens dont la tête ne lui revenait pas. Pendant que la Maison Blanche s’obstinait dans son refus, la Corée du Nord produisait du plutonium. »

Que vaut cet accord laborieusement obtenu et qui ressemble à un autre, signé en 1994 entre les États-Unis du président Clinton et la Corée du Nord, et qui a vite été « oublié » ? Il vaut, à mon avis, ce que voudra en faire la Chine, son principal artisan et seule puissance à être en mesure de faire entendre raison à Kim Jong-il, chef de la Corée du Nord(2).
Mais, au-delà de la Corée, servira-t-il de bon précédent pour une négociation des Américains et des Européens avec l’Iran, autre prétendant à la capacité nucléaire ?
Autrement dit : sera-t-il semence ou poussière ? Nul ne le sait.

J’en viens maintenant à deux événements qui concernent le Moyen-Orient et risquent d’affecter son devenir.
Le premier n’a pas encore de nom mais s’appellera sans aucun doute la bataille de Bagdad, par référence à la bataille d’Alger qui, en 1957, a marqué un tournant de la guerre d’Algérie.
Les Américains ont envoyé dans la capitale irakienne dix-sept mille soldats et officiers de plus, doté leur corps expéditionnaire d’un nouveau commandant en chef, le général David Howell Petraeus, et lui ont donné pour premier objectif de chasser les insurgés de Bagdad et sa région.
De son côté, le gouvernement irakien de Nouri al-Maliki, dominé par les chiites, a désigné le lieutenant général Aboud Qanbar comme chef militaire de la capitale, et lui a donné pleins pouvoirs pour – à tout prix – venir à bout du terrorisme et ramener la sécurité.
Petraeus et Qanbar ont engagé la bataille ; ils ont à leur disposition, pour la seule ville de Bagdad, 85 000 hommes : une vraie armée ! Ils ont carte blanche et instruction d’utiliser tous les moyens – comme Massu en 1957 à Alger – pour reconquérir la capitale irakienne et y faire régner l’ordre.
Ils devront avoir réussi leur mission d’ici au 20 mars, quatrième anniversaire du début de la guerre. Ou, au plus tard le 9 avril, soit quatre ans après l’entrée des troupes américaines dans Bagdad et la chute de Saddam Hussein.
Ils disposent donc de six à huit semaines et nous saurons, en avril prochain, s’ils ont gagné ou non leur pari.
S’ils le perdent, ou si on a l’impression qu’ils sont en train de le perdre, l’Amérique aura perdu la guerre et devra rembarquer ses troupes. Mais même s’ils parviennent à remplir leur mission, la partie ne sera pas gagnée pour autant : car, rappelez-vous, le général Massu et ses parachutistes ont gagné la bataille d’Alger, mais cela n’a pas empêché la France de perdre la guerre d’Algérie.

Annoncé le 13 février, le deuxième événement est diplomatique : un sommet américano-israélo-palestinien (Condoleezza Rice, Ehoud Olmert, Mahmoud Abbas) doit s’ouvrir le lundi 19 février à Jérusalem.
Objet : création de l’État palestinien, rien de moins.
Véritable Arlésienne de la politique, l’État palestinien a fini par apparaître au président Bush comme une réalisation qu’il est de son intérêt de favoriser, même s’il faut pour cela que Condoleezza Rice force la main à la direction israélienne.
Les alliés européens et arabes des États-Unis les poussent dans cette direction depuis des années. Mais le président Bush aura-t-il le temps, la volonté et les moyens de faire en sorte que cet État voie le jour d’ici à la fin de 2008 ?
Peu de gens le pensent et, personnellement, je l’exclus, car, du côté israélien comme du côté palestinien, les dirigeants et les partis n’ont, pour le moment, ni la volonté ni la capacité de faire les concessions nécessaires à un accord équilibré.
Et leurs alliés extérieurs, les États-Unis pour Israël, les pays arabes pour les Palestiniens, n’ont, de leur côté, ni la volonté ni la capacité de les y contraindre.
Mais gageons que George W. Bush et Condoleezza Rice s’agiteront beaucoup pour se persuader et nous persuader qu’ils réussiront, en 2008, là où Bill Clinton a échoué en 2000.

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1. On ne sait pas exactement ce que les Nord-Coréens ont promis, encore moins ce qu’ils soumettront à un contrôle, et s’ils tiendront tous les engagements qu’ils ont pris.
2. Le négociateur américain de l’accord, Christopher Hill, a dit publiquement : « C’est un exploit de la diplomatie chinoise que de nous avoir mis autour de la table de négociations Je n’aurais rien pu faire sans la Chine et son négociateur, Wu Dawei »

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