Et maintenant l’Iran

Publié le 18 février 2007 Lecture : 5 minutes.

La politique peut-elle tirer des leçons de l’Histoire ? Ou est-elle fatalement condamnée à répéter les mêmes erreurs, malgré les désastres qu’elles ont provoqués dans le passé ? La nouvelle stratégie irakienne du président George W. Bush soulève à son tour cette éternelle question philosophique et historique.
À l’évidence, Bush a décidé de mettre en uvre dans un Irak déchiré par la guerre une nouvelle stratégie politique et militaire. Sa nouvelle approche peut être résumée sous trois têtes de chapitre : davantage de troupes américaines, davantage de responsabilités irakiennes et davantage d’entraînement américain pour davantage de troupes irakiennes.

Bush choisit l’escalade militaire
Si l’on applique ce nouveau plan au seul Irak, deux choses frappent immédiatement : il ignore presque toutes les propositions du rapport
Baker-Hamilton, et son contenu même – au regard du chaos qui prévaut en Irak – reste excessivement simpliste. À en juger par l’échec de toutes les « nouvelles stratégies » de stabilisation de l’Irak qui se sont succédé,
rien ne permet d’augurer que la plus récente d’entre elles réussira mieux que les précédentes, malgré le renfort de 21 000 hommes de troupe.
Ce qui est intéressant et réellement nouveau dans la politique que vient de dévoiler l’administration américaine est qu’elle ne se limite pas à l’Irak, mais concerne également l’Iran, la Syrie et les pays du Golfe. Des décisions inattendues et authentiquement nouvelles sont annoncées : un porte-avions américain et son groupe d’appui seront envoyés dans le Golfe ; des missiles sol-air Patriot seront basés dans les États du Golfe ; et le nombre de 21 000 soldats va bien au-delà des effectifs dont les généraux américains avaient réclamé le déploiement en Irak. On peut s’interroger sur la raison de cette escalade militaire. Elle pourrait presque faire croire que Saddam Hussein est toujours vivant et au pouvoir, et qu’il convient de replanifier son éviction.

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L’ombre des néoconservateurs
La surprise que réserve la nouvelle approche de Bush est que sa dimension politique se trouve déplacée de l’Irak à ses deux voisins immédiats. Bush accuse la Syrie et le Liban d’intervenir en Irak, d’en menacer l’intégrité territoriale, de mettre en danger la vie des soldats américains et, plus généralement, d’essayer de déstabiliser les alliés que l’Amérique compte dans la région. Si l’on y ajoute l’arrestation, ordonnée par Bush, de « diplomates » iraniens par les forces américaines dans la ville d’Erbil, au nord de l’Irak, c’est une vision toute différente du plan présidentiel qui s’impose : loin de suivre les conseils du rapport Baker-Hamilton, la « nouvelle stratégie » revient à la désastreuse stratégie des néoconservateurs. L’Iran est désormais dans la ligne de mire de la superpuissance américaine, dont le comportement rappelle la phase préparatoire à la guerre d’Irak – et ce jusqu’au moindre détail.

Scénario catastrophe
Où cela mènera-t-il ? Fondamentalement, deux issues sont possibles, l’une positive, l’autre négative. La première apparaît malheureusement la moins probable. Dans la mesure où les États-Unis, en menaçant de recourir à la force – une force qu’ils sont clairement en train de mettre sur pied -, ont pour objectif de préparer le terrain à de sérieuses négociations avec l’Iran, personne ne pourrait ni ne devrait s’en alarmer. Si, en revanche, ils entendent préparer l’opinion américaine à une guerre contre l’Iran avec l’intention formelle de la déclencher lorsque les circonstances s’y prêteront, alors, on peut prédire une issue catastrophique.
Ce danger n’est malheureusement que trop réel. Parce que l’administration Bush voit dans le programme nucléaire de l’Iran et dans les aspirations hégémoniques de ce pays la principale menace pesant sur la région, il est inévitable que sa nouvelle stratégie s’appuie sur une alliance anti-iranienne non déclarée avec les États arabes modérés et avec Israël. Le programme nucléaire est ici l’élément moteur qui déterminera le calendrier de l’action.
Mais les frappes aériennes contre l’Iran, que les États-Unis pourraient retenir en tant que solution militaire, ne rendraient pas l’Iran plus sûr : elles auraient le résultat inverse. Et la région dans son ensemble ne s’en trouverait pas stabilisée : au contraire, elle serait prise dans une tempête. Et le rêve d’un « changement de régime » à Téhéran ne se réaliserait pas non plus : c’est plutôt l’opposition démocratique iranienne qui paierait les pots cassés et le régime théocratique s’en trouverait renforcé.

La carte de la diplomatie
On n’a pas encore épuisé les options politiques qui permettraient de stabiliser l’Irak et toute la région, tout en gelant indéfiniment le programme nucléaire iranien lequel, en son état actuel, ne justifie aucune action militaire immédiate. Mieux vaudrait rechercher, par la voie diplomatique, à détacher la Syrie de l’Iran et à en isoler le régime de Téhéran. Mais cela suppose que les États-Unis soient prêts à revenir à la diplomatie et à nouer un dialogue avec toutes les parties en présence. Téhéran redoute de se trouver isolé régionalement et internationalement. Qui plus est, les dernières élections municipales en Iran ont prouvé qu’il est réaliste de jouer la carte de la diplomatie et de faire le pari d’une transformation de l’Iran amorcée de l’intérieur. Alors, pourquoi les menaces actuelles contre l’Iran ?

Les leçons de l’Histoire
La débâcle irakienne était prévisible depuis le départ, et les nombreux partenaires et amis de l’Amérique en avaient averti l’administration Bush. L’erreur que les États-Unis s’apprêtent peut-être à commettre aura des conséquences non moins prévisibles : ce n’est pas en étendant une mauvaise guerre qu’on peut en faire une guerre légitime – telle est la leçon à tirer du Vietnam, du Laos et du Cambodge.
La stratégie du changement de régime par la force militaire, d’inspiration idéologique, a conduit les États-Unis au désastre de la guerre d’Irak. Envahir le pays et vaincre Saddam Hussein était facile. Mais à présent l’Amérique se retrouve enlisée là-bas et ne sait ni comment gagner, ni comment s’en sortir. On ne corrige pas une erreur en la répétant encore et encore. Y persévérer ne fait que l’exacerber.
Avec le lancement de la nouvelle politique américaine, la vieille question de savoir si la politique peut tirer les leçons de l’Histoire trouvera une réponse de plus au Moyen-Orient. Quelle que soit cette réponse, ses conséquences – positives ou négatives – auront une grande portée.

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* Vice-chancelier et ministre allemand des Affaires étrangères de 1998 à 2005. Enseigne aujourd’hui au département Woodrow Wilson de l’université de Princeton, New-Jersey.

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