Un cameraman à Guantánamo : une infamie

Publié le 17 décembre 2006 Lecture : 3 minutes.

Rien ne prouve que Sami el-Hadj ait commis d’autre crime que de travailler pour une chaîne de télévision que l’administration Bush n’aime pas. Le cameraman d’Al-Jazira est pourtant détenu à Guantánamo depuis près de cinq ans, sans jugement. Avec l’incarcération de Hadj et de quatre de ses confrères en Irak, les États-Unis arrivent, selon le Comité de protection des journalistes (CPJ), au sixième rang des pays ayant enfermé des journalistes, juste derrière l’Ouzbékistan et à égalité avec la Roumanie.
Hadj est le seul journaliste connu à être détenu à Guantánamo, et il est possible qu’il ait commis des crimes en rapport avec le terrorisme. Si c’est le cas, qu’il soit jugé, déclaré coupable et condamné. Mais l’affaire examinée par ses avocats et par le CPJ – qui a publié un excellent dossier à ce sujet – laisse penser que l’armée américaine garde Hadj sous clef dans l’espoir d’en faire un espion à son service.
Sami el-Hadj, 37 ans, a fait des études universitaires et s’exprime parfaitement en anglais. Il a rejoint l’équipe d’Al-Jazira comme cameraman en avril 2000 et a couvert la guerre d’Afghanistan. Arrêté le 15 décembre 2001, il a été incarcéré dans une prison de l’armée américaine à Bagram, en Afghanistan. « Ce fut la période la plus noire de ma vie », a raconté Hadj à ses avocats. Battu à plusieurs reprises, affamé, abandonné dans le froid glacial, il a subi des fouilles anales, « uniquement, dit-il, pour m’humilier ». En juin 2002, Hadj a été transféré à Guantánamo, où les mauvais traitements ont été très durs au début, puis se sont quelque peu atténués.
Tout d’abord, ceux qui l’interrogeaient ont prétendu que Hadj avait tourné une interview d’Oussama Ben Laden pour Al-Jazira, mais il est apparu par la suite qu’ils le confondaient avec un autre cameraman du même nom. Après quoi, les autorités l’ont accusé d’avoir transporté des fonds importants pour le compte d’une organisation caritative suspecte d’avoir soutenu les rebelles tchétchènes, et d’avoir à l’occasion servi de chauffeur à un dirigeant d’al-Qaïda.
Que de telles accusations, expliquent les avocats, soient à peine abordées dans les interrogatoires indique que les autorités américaines elles-mêmes ne les prennent pas au sérieux. « Les interrogatoires portaient à 95 % sur Al-Jazira, raconte l’un des avocats, Me Zachary Katzelson, du barreau de Londres. Sami disait : En quoi suis-je concerné ? Pourquoi m’interrogez-vous, moi ? À ses yeux, ce qui intéressait les Américains, ce n’était pas lui, mais son employeur, Al-Jazira. » Les « inquisiteurs », ajoute Katzelson, ont dit à Hadj qu’il serait libéré immédiatement s’il acceptait de retourner à Al-Jazira et de l’espionner. Et qu’arriverait-il, avait-il demandé, si une fois libéré je ne respectais pas le pacte ? « Tu ne le feras pas, lui ont-ils dit, parce que tu mettrais en danger ton fils. »
Le département de la Défense s’est refusé à tout commentaire sur l’affaire Hadj, car en principe il ne fait aucune déclaration sur les cas particuliers à Guantánamo.
Personne ne parle de l’affaire Hadj aux États-Unis, mais elle fait l’objet d’une large attention dans le monde arabe, ce qui affecte les intérêts américains à long terme. Selon ses avocats, Hadj souffre d’une déchirure des ligaments du genou provoquée par les sévices qu’il a subis pendant les premières semaines de sa détention. Ce qui rend pour lui l’usage des toilettes à la turque particulièrement pénible. On lui a donc proposé un traitement pour son genou, ainsi que des toilettes « assises » moins douloureuses, à la condition qu’il lâche le morceau sur Al-Jazira. Il a refusé.
Alors que les documents du Pentagone attestent qu’il a été un détenu exemplaire à Guantánamo, il se plaint d’avoir eu droit à des épithètes racistes (il est noir) et d’avoir vu les gardiens profaner le Coran. Nous, Américains, ne devrions pas admettre qu’on profane ainsi nos propres valeurs. C’est à elles que nous nous attaquons, pas au terrorisme.

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