Le retour du DDT

Publié le 17 décembre 2006 Lecture : 3 minutes.

C’était, dans les années 1950, le triomphe du DDT (dichlorodiphényltrichlorétane). Découvert par Paul Muller, qui reçut pour cela le prix Nobel de médecine, le DDT venait de vaincre le pou, vecteur du typhus, et avait ainsi contribué à la victoire des troupes alliées en Afrique du Nord. À cette époque, tout suspect de typhus, tout éventuel porteur de poux, tout rapatrié d’un camp de concentration recevait une giclée de DDT projetée par une grosse seringue glissée dans les chemises et les pantalons. Les poux, vieux parasites de l’homme, disparaissaient et, avec eux, les maladies qu’ils transmettaient.

D’où l’idée de s’attaquer à l’anophèle, moustique vecteur du paludisme. Le DDT l’avait éliminé du Brésil, puis de certaines îles comme la Corse et la Sicile. Pourquoi pas de toute l’Afrique ? L’Organisation mondiale de la santé (OMS) entreprit alors une grande campagne de pulvérisation du DDT à l’intérieur des maisons, sur les murs où l’insecticide est rémanent. Ainsi, la « moustiquaire chimique » devait remplacer la moustiquaire de lit et supprimer la prévention par la chloroquine (alors très active). Commencée dans des zones pilotes, la campagne fut étendue à toute l’Afrique, malgré des réticences exprimées ici et là.

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Après vingt ans de lutte et des milliards de dollars dépensés, la campagne fut arrêtée. Pourquoi ? Parce que des organisations comme Environmental Defense Fund ont souligné la toxicité du DDT : pour l’individu, s’il est absorbé en grande quantité ; et aussi pour la chaîne alimentaire (où il peut persister pendant des années) si on l’utilise de façon extensive comme insecticide dans les champs agricoles. Une autre raison, jamais évoquée, me semble-t-il, est que l’élimination du paludisme paraissait aléatoire. Des médecins chefs d’équipes antipaludiques (dont je fus dans mes jeunes années africaines) avaient souligné les difficultés pratiques de la pulvérisation : il était difficile de préparer des solutions exactement dosées et de réaliser une projection homogène sur les murs. Et, surtout, il était difficile d’atteindre toutes les surfaces où se posent les anophèles, ce qui nécessite de vider complètement les cases, les « greniers », les abris pour animaux, les toits, les réserves, deux fois par an, et cela pendant quatre à cinq ans.
Obtenir ce résultat dans des millions de cases villageoises n’est pas facile. Sans parler des maisons, dont les propriétaires veulent protéger les revêtements muraux. ?À vrai dire, les villageois nous disaient : « Quand vous venez, les moustiques s’en vont, puis ils reviennent plus tard. » Ils posaient ainsi les questions toujours débattues concernant la résistance de certains anophèles au DDT ou la possibilité pour eux de vivre en partie en « exophilie » (à l’extérieur des maisons). Pour certains entomologistes, ces questions devraient obtenir des réponses précises.
Après une trentaine d’années de réflexion, l’OMS lance une nouvelle campagne antipaludique. Elle préconise à nouveau la pulvérisation de DDT sur les murs intérieurs des maisons : même les associations qui avaient mené la lutte contre cet insecticide reconnaissent qu’il n’est pas dangereux en application murale correcte.

En outre, cette opération est prise en charge par l’initiative du président des États-Unis contre le paludisme (1,2 milliard de dollars). Mais l’OMS a tiré les leçons des erreurs du passé. Elle recommande simultanément l’utilisation des moustiquaires imprégnées et la mise en place des diagnostics rapides et des traitements combinés avec artémisinine. Ce « trépied » de mesures pourrait réduire de moitié les décès dus au paludisme (2 millions de morts par an chez les enfants, particulièrement africains).

* Membre correspondant de l’Académie de médecine (France).
Cet article a bénéficié des conseils du docteur Frédéric Pagès, Centre d’entomologie médicale du Pharo (Marseille).

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