Un nouveau Dag Hammarskjöld pour l’ONU
Dag Hammarskjöld (secrétaire général de 1953 à 1961, décédé en mission au Congo dans un accident d’avion) avait l’habitude de dire : « L’ONU n’a pas été inventée pour promettre au monde le paradis, mais pour éviter à l’humanité de vivre en enfer. » Les attentats du 11 septembre 2001 ont réduit les capacités des organisations internationales à protéger l’humanité de l’enfer. Ils ont bouleversé les priorités de l’action du système onusien pour faire de la lutte contre le terrorisme LA priorité.
Dans ce contexte s’est ouverte, le 12 septembre à New York, la 61e session de l’Assemblée générale, avec un ordre du jour contenant pas moins de 200 sujets à l’examen. L’élection d’un nouveau secrétaire général représente un événement majeur de la session. En effet, la Charte investit le secrétaire général de pouvoirs lui permettant de sauvegarder son indépendance, sa neutralité et de le protéger de toute tentation de manipulation.
L’article 99 de la Charte lui consacre le droit à « l’initiative » : il peut attirer l’attention du Conseil de sécurité sur toute affaire, qui, à son avis, pourrait mettre en danger la paix et la sécurité internationales. Ce pouvoir se transforme en devoir lorsque des communautés civiles sont menacées ou exposées aux pires violations de leurs droits. À ce titre, il est l’autorité morale mondiale. D’ailleurs, l’article 100 de la Charte ordonne que dans l’accomplissement de leur devoir, le secrétaire général et le personnel n’accepteront d’instructions d’aucun gouvernement ni d’aucune autorité extérieure à l’Organisation.
Ces deux règles fondamentales et complémentaires font de l’Organisation un acteur préventif plutôt que passif entraînant la communauté internationale dans l’action multilatérale conforme au droit international. Dag Hammarskjöld est considéré comme un secrétaire général exceptionnel, pour avoir donné à la fonction ses titres de noblesse, son impartialité, sa rigueur et sa visibilité. Il le doit à son courage, à son attachement indéfectible aux textes de la Charte ; il en a fait un usage clairvoyant et sans concession.
Ses successeurs, et particulièrement Javier Perez de Cuellar (1982-1991) et Boutros Boutros-Ghali (1992-1996), l’ont suivi et ont assumé leurs responsabilités, au risque parfois de se trouver confrontés aux critiques de certains États. Depuis que l’action du patron de la Maison de verre est soumise au feu vert préalable des superpuissances, son pouvoir a été sérieusement raboté, et le recours aux articles 99 et 100 gelé. L’actualité récente nous offre un bel exemple de l’utilité de ces dispositions. En effet, la décision de Kofi Annan de se déplacer au Proche-Orient dans le cadre de la mise en uvre de la résolution 1701 du Conseil de sécurité a permis de clarifier les positions quant au respect de la résolution par les parties, et de débloquer le dossier nucléaire iranien : cette initiative était donc salutaire ! Elle eût été encore plus bénéfique si elle avait eu lieu quelques semaines auparavant, dès le déclenchement des hostilités. En 1961, lors de la guerre de Bizerte, Dag Hammarskjöld s’est déplacé sur le terrain en Tunisie sans attendre l’autorisation du Conseil et a assumé, avec succès, ses responsabilités !
L’avenir et la crédibilité de l’Organisation dépendent du rôle et de l’action du secrétaire général. Il est le garant des conventions internationales et, à ce titre, il doit veiller au respect des valeurs consignées dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Les concepteurs de la Charte ont fait de l’Organisation l’endroit où s’exerce la démocratie, avec la règle « un pays égale une voix ». On a coutume d’affirmer que l’ONU est le porte-voix des vulnérables. La diversité des programmes en faveur des réfugiés, des handicapés, des enfants, etc., en témoigne. Ce travail prodigieux ne peut continuer qu’avec l’aide d’un secrétaire général capable d’affirmer l’indépendance de l’Organisation, et de la protéger des tentations dominatrices. En somme, l’indépendance de l’Organisation dépend de l’indépendance de son chef ; si ce dernier cède aux influences étatiques, tout le mécanisme s’en trouve affecté.
Selon la procédure en vigueur, le Conseil de sécurité propose, et l’Assemblée générale dispose : il proposera donc un candidat et la coutume veut qu’elle confirme le choix par un vote majoritaire. Des voix s’élèvent – au Sud comme au Nord – pour la révision de cette procédure en faveur d’une meilleure transparence dans le processus de sélection et une participation plus décisive de l’Assemblée. Il est à espérer que la 61e session de l’Assemblée saura amener un nouveau Dag Hammarskjöld à la tête de l’Organisation ; elle en a besoin d’urgence.
* Ancien directeur du centre régional de l’ONU en Europe, à Bruxelles. Chargé de cours au Centre d’études diplomatiques et stratégiques de Paris.
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