Tragique odyssée

Publié le 17 septembre 2006 Lecture : 2 minutes.

Avec Eldorado, Laurent Gaudé redonne un visage et une âme à ces migrants qui, dans les médias, forment une marée humaine indistincte. Dans la chair du texte, l’homme reprend la première place. On oublie les chiffres et les statistiques. L’auteur sait décrire ces hommes et ces femmes qui, lorsqu’ils sont repêchés en mer sur des embarcations de fortune, ont ce regard « qui semblait dire qu’ils avaient déjà traversé trop de cauchemars pour pouvoir être sauvés tout à fait ». Il sait dire la haine des rescapés qui se rendent compte que leurs compagnons ont « payé leur mort ». Il sait raconter l’exil et l’espoir, l’angoisse et la force de (sur)vivre. Au cur de cette odyssée : Soleiman, jeune Soudanais, qui quitte son pays en quête d’une vie meilleure, et Salvatore Piracci, garde-côte italien ébranlé dans ses convictions. Laurent Gaudé nourrit son texte d’événements réels (comme l’assaut de Ceuta) et de données géopolitiques. « Le sujet des réalités économiques du trafic de clandestins m’intéressait. J’ai notamment découvert que, pour la mafia des Pouilles, en Italie, les recettes dues au trafic d’êtres humains sont supérieures à celles de la drogue ou de la prostitution », explique-t-il. Malgré tout, Eldorado reste une uvre de fiction qui combine les ressorts littéraires chers à l’auteur : la tragédie en tant que marche inexorable vers un destin, le voyage initiatique et le parcours d’apprentissage. Les écrivains qui se sont frottés au thème de l’immigration pour raconter la tragédie de ceux qui n’ont plus rien à perdre hormis leur vie, sont peu nombreux : Le Mauricien Carl de Souza dans Ceux qu’on jette à la mer (éd. de l’Olivier, 2001), par exemple, ou les Marocains Mahi Binebine et Tahar Benjelloun, respectivement dans Cannibales (éd. De l’Aube, 2005) et dans Partir (Gallimard, 2006). Avec son écriture simple, limpide et vraie, Gaudé nous rappelle qu’« aucune frontière n’est facile à franchir. Il faut forcément abandonner quelque chose derrière soi. Nous avons cru pouvoir passer sans sentir la moindre difficulté, mais il faut s’arracher la peau pour quitter son pays. Et qu’il n’y ait ni fils barbelés ni poste frontière n’y change rien. [] Aucune frontière ne vous laisse passer sereinement. Elles blessent toutes. »

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires