D’Ibn Khaldoun à Bill Gates
Publié le 17 septembre 2006 Lecture : 3 minutes.
En cette période de rentrée où les Libanais pansent leurs plaies et les candidats à l’élection présidentielle française fourbissent leurs armes, trouver au kiosque ou, de préférence, dans sa boîte aux lettres le quatrième numéro de La Revue. Pour l’intelligence du monde fournit une rare occasion de réfléchir, d’approfondir et d’emboîter quelques pièces de plus dans le puzzle de notre compréhension du monde.
Les sujets abordés s’étendent largement dans le temps – du savant Ibn Khaldoun au philanthrope Warren Buffett – et dans l’espace – grâce, notamment, à trois tours du monde de la télévision, de l’argent et de l’espionnage. L’iconographie est somptueuse, la maquette chatoyante, contribuant ainsi à rendre aussi agréable qu’utile la lecture des 160 pages du numéro.
L’éditorial de Béchir Ben Yahmed donne le ton : pour parler de la deuxième guerre d’Israël au Liban, ni anathème ni évocation complaisante de l’horreur ; juste ce qu’il faut de recul pour comprendre que l’attaque israélo-américaine est dans le droit fil d’un jeu de rôles dont le dénominateur commun est une préférence pour la force qui est en soi un aveu de faiblesse.
Cette même rigueur se retrouve dans l’interview du sociologue Emmanuel Todd. Non, nous dit-il, la France n’est pas en déclin ; elle est plutôt en colère contre des schémas politiques qui inversent les priorités – la sécurité avant le chômage -, qui opposent le bonnet blanc de Sarkozy au blanc bonnet de Ségolène.
La télévision à l’avant-garde de la mondialisation : La Revue traite le sujet, en un tour du monde précis et exhaustif. Les tendances s’uniformisent, mais les productions respectent les préférences culturelles. En contrepoint, un portfolio photo nous présente les nouveaux milliardaires du monde, de l’Inde à la Chine, du Pakistan au Brésil en passant par la Russie. Le mauvais goût et la démesure s’y étalent, mais avec une nouvelle finalité du business, dont les succès de Lakshmi Mittal ou de Li-Ka Shing prouvent la redoutable efficacité. Et si l’argent corrompt, il permet aussi à des Bill Gates et Warren Buffett de faire reculer les limites de la philanthropie.
La Revue se focalise sur les points chauds du Proche-Orient avec des angles inattendus. Saluons Ibn Khaldoun, l’extralucide maghrébin, mort il y a 600 ans. Il fallut attendre trois siècles pour que Locke, Diderot et Kant retrouvent les conclusions de leur lointain précurseur. Et, pour équilibrer cette pacifique rivalité, La Revue nous entraîne au cur de la chaîne Al Jazira, phénomène de libre information dans un monde qui ne la pratique guère. Sa qualité prouve que les traditions occidentales peuvent s’acclimater, voire s’enrichir, dans un environnement qui ne leur oppose aucune hostilité de principe. Et cette sympathie transparaît dans « la France vue par un Turc » qui nous rappelle toutes les valeurs que nous devrions cultiver pour être à la hauteur des espoirs inspirés un jour aux autres peuples.
Suit un instant de détente avec l’interview imaginaire de Mao, un Mao enfermé dans son autoglorification qui se penche sur sa vie, de la Longue Marche de 1934 à la descente du Yang Tsé à la nage trente ans plus tard. Conclusion : « j’étais trop grand pour la Chine ».
Enfin un dossier substantiel, consacré à l’espionnage et aux services secrets, fait entrer le lecteur dans l’univers glauque de la DGSE, de la CIA, du Mossad, qui prennent si facilement des libertés avec celle des autres. Il est loin le temps de James Bond et de ses gadgets ludiques. Terrorisme et technologie, assassinats ciblés et écoutes téléphoniques généralisées ; les missions et les moyens se sont élargis, mais les ambiguïtés et les dérives demeurent.
Et La Revue de conclure avec quelques pages douloureuses, rappelant les circonstances de la chute d’Allende, exécuté en septembre 1973 tandis que, de Nixon à l’agent de la CIA, toute l’Amérique soufflait sur la braise depuis trois ans.
