Tamatave, la rebelle

Premier port du pays, le chef-lieu de la côte orientale nourrit un vieil antagonisme avec la capitale, située sur les hauts plateaux.

Publié le 17 juillet 2005 Lecture : 4 minutes.

Deuxième agglomération de Madagascar, Tamatave (actuelle Toamasina), c’est un peu l’anti-Tana. Alors qu’Antananarivo jouit d’un climat d’altitude qui favorise l’hyperactivité de sa population, la capitale de la côte Est vit dans la torpeur des tropiques, bercée par les alizés venus de l’océan Indien. Ici, l’hiver austral n’est qu’une lointaine rumeur. Aux abords du Grand Bazar, non loin de l’hôtel Joffre, les petits marchands se frayent un chemin entre les flaques boueuses, reliquats de la dernière pluie, et installent leurs échoppes dans la chaleur moite qui monte dès les premières heures de la matinée. Sur l’avenue de l’Indépendance, les passants hèlent les pousse-pousse en maraude, qui se faufilent jusqu’à leur destination en slalomant entre les nids-de-poule.
Ville frondeuse, voire insoumise, la capitale du royaume betsimisaraka n’a pas bonne réputation. Premier port de Madagascar, la ville est fréquentée par des marins débarquant des quatre coins du monde. Mais c’est surtout le caractère ombrageux de ses habitants qui lui vaut sa forte personnalité. Dès le XVIIe siècle, les Betsimisarakas font parler d’eux en organisant des raids pour rafler des esclaves jusqu’aux Comores et en Afrique de l’Est. D’ailleurs, en 1817, le roi Radama Ier, venu d’Antananarivo à la tête de 25 000 hommes pour soumettre Tamatave, choisira la méthode douce : tout en obtenant du souverain local la reconnaissance de son titre de roi de Madagascar, il laissera celui-ci exercer son autorité sur la côte est de la Grande Île.
Près de deux siècles plus tard, le vieil antagonisme entre le chef-lieu du littoral oriental et la capitale des hauts plateaux subsiste. La crise politique de l’année 2002 en est l’une des plus fameuses illustrations. D’ailleurs, l’implantation géographique des deux protagonistes ne doit pas grand-chose au hasard. Le contentieux électoral survenu lors de l’élection présidentielle de décembre 2001 va conduire Marc Ravalomanana – Merina natif des hautes terres – et l’amiral Didier Ratsiraka – Betsimisaraka originaire de la côte Est – à s’affronter dans un duel historique. Durant six mois, les autorités de l’ancien régime, fidèles à l’amiral, tenteront d’isoler la capitale en provoquant un véritable blocus d’Antananarivo. Mais le camp de Ravalomanana finira par s’imposer. Dernier foyer de résistance ratsirakiste, Tamatave tombera le 8 juillet 2002, consacrant ainsi la prise de contrôle intégrale de la Grande Île par le nouveau régime, au lendemain du départ en exil du président déchu. Les derniers fidèles de l’amiral tenteront bien de transformer la ville en fort Chabrol, rêvant d’en faire la capitale d’un nouvel État sécessionniste… Mais Tamatave se rendra finalement sans violence.
La ville conserve encore aujourd’hui un souvenir très vif de cette tentative d’émancipation, et entretient avec autant de fierté que de masochisme son esprit de contradiction à l’égard du pouvoir central. Dernier épisode en date, lors des élections municipales de novembre 2003, les habitants de Tamatave ont réélu Roland Ratsiraka, neveu de l’ex-président de la République. Vainqueur du candidat pro-Ravalomanana, le maire sortant est catalogué comme un opposant au régime, même s’il n’appartient à aucun parti.
Mais le destin de l’agglomération n’est pas seulement dicté par sa forte personnalité politique. Peuplée d’au moins 200 000 habitants, cette métropole est l’un des principaux poumons économiques de l’île, puisque 75 % des marchandises (2,5 millions de tonnes/an) qui entrent et sortent de Madagascar transitent par les quais de Tamatave. C’est là que convergent le sucre, le riz, les clous de girofle et les litchis que les Malgaches importent et exportent au rythme des campagnes agricoles.
Fondée au XVIIIe siècle autour d’un comptoir commercial, la cité a servi de base pour la conquête de l’intérieur des terres par le colonisateur dès la fin du XIXe siècle. Ce qui lui a valu de bénéficier d’un solide réseau d’infrastructures. C’est de là que partent la route nationale n° 2 ainsi que la voie de chemin de fer qui relie la côte à Antananarivo, à l’Ouest. Autre voie de communication, le canal des Pangalanes, long de 650 kilomètres, relie Tamatave à Farafangana en longeant la côte Est. Décrétée par Gallieni en 1896, sa construction, qui fit des centaines de morts, servit plus à assurer le contrôle des provinces betsimisarakas par les forces coloniales qu’à doper le commerce côtier. Laissé à l’abandon depuis de longues années, il pourrait faire l’objet d’un vaste projet d’aménagement… Reste à trouver les financements nécessaires.
Aujourd’hui, le canal est désaffecté, mais le train roule toujours. Le réseau a été concédé en janvier 2004 au groupe Bolloré, en charge de ce projet à travers sa filiale Madarail. Récemment privatisé également, le terminal à conteneurs du port de Tamatave a été confié en juin 2005 au groupe philippin Ictsi (International Containers Terminal Service Int.) pour une durée de vingt ans. Ce qui devrait rapporter 250 millions d’euros à l’État. Le nouvel opérateur s’est engagé à doubler la capacité du site d’ici à 2009. Pour y parvenir, il envisage d’accroître le rythme de débarquement à 45 conteneurs par heure contre 20 actuellement.
D’autres projets susceptibles de doper l’économie de la région pourraient également voir le jour dans les années à venir. Le groupe japonais OIJ Paper envisagerait d’implanter une industrie papetière à Brickaville, à une centaine de kilomètres au sud de Tamatave, qui pourrait susciter la création de plusieurs milliers d’emplois. En attendant le retour des investisseurs dans la province, l’agglomération, malmenée par des conditions météorologiques éprouvantes, tente de panser ses plaies et de rafistoler ce qui peut l’être. D’ailleurs, elle a déjà connu pire. En 1927, Tamatave fut dévastée par un cyclone qui tua des centaines d’habitants. Mais la ville ne perdit pas pour autant son goût pour la vie. Ni son esprit de contradiction…

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires