Sur les traces de Gauguin aux Marquises

Publié le 17 juillet 2005 Lecture : 3 minutes.

C’est parce qu’il aspirait à retrouver la pureté originelle de l’humanité que Paul Gauguin s’est installé en Polynésie. Avant de partir, il écrit à un ami : « Je vais aller à Tahiti et j’espère y finir mon existence. Je jure que mon art que vous aimez n’est qu’en germe et j’espère là-bas le cultiver pour moi-même à l’état primitif et sauvage. Qu’importe la gloire pour les autres ! Gauguin est fini pour ici. » À 43 ans, l’artiste devenu peintre sur un coup de tête peine à subvenir à ses besoins. Parce qu’il s’était lié d’amitié avec Émile Schuffenecker, employé comme lui et peintre pendant ses heures de loisirs, Paul Gauguin, alors prospère agent de change, ne jure plus que par les couleurs et les pinceaux.
Lorsqu’en 1891 il décide de fuir la France et « la civilisation du mal » pour Tahiti, il laisse derrière lui une femme et cinq enfants. Il espère aussi tirer un trait sur ses galères, car, à l’instar de nombreux artistes de l’époque, il a du mal à vendre ses oeuvres. En embarquant sur l’Océanien le 4 avril, il part à la recherche d’un monde authentique, plus proche de la nature et de nouvelles sources d’inspiration en accord avec son tempérament de « sauvage », un âge d’or, une nouvelle Cythère, un paradis de l’amour.
Au début, tout va bien. Gauguin, conquis par les couleurs éblouissantes et l’exubérance tropicale, s’habille couleur locale et vit comme le Vendredi de Robinson Crusoë. Il s’installe dans un faré (maison traditionnelle) avec une jeune vahiné et écrit : « Je sens que je commence à posséder le caractère océanien. »
Tahiti, trop européenne à son goût, le déçoit pourtant. Toujours porté par sa devise « Fuir pour atteindre l’art », il aspire à un autre ailleurs. En septembre 1901, le peintre plie bagage et chevalet, et part s’installer aux Marquises, où il achète une parcelle de terrain pour y bâtir sa fameuse « Maison du jouir ». Un nom prédestiné pour cet amateur de nymphes marquisiennes, qui n’avait pas hésité à sculpter l’une de ses cannes à pommeau en forme de phallus.
Mais « Koké » – son nom polynésien – ne goûtera pas très longtemps aux joies de cette île perdue. Le 8 mai 1903, ce peintre de génie dont Baudelaire évoquait la peinture en ces termes : « les parfums, les couleurs, les sons se répondent », meurt dans le dénuement et la solitude, emporté par l’alcoolisme et la syphilis.
Un siècle après sa mort, Hiva Oa n’a pas changé. Dans ce paradis vert érigé sur une mer turquoise, la dernière demeure du peintre fait partie des haltes obligées pour les rares visiteurs. Dans le cimetière à flanc de colline, à quelques pas de la tombe de Jacques Brel, sa stèle, couverte de pierres taillées et ornées de colliers de fleurs multicolores, ressemble à un mausolée païen. À sa tête, la réplique d’une sculpture en grès nommée Oviri (« sauvage »). En contrebas, l’espace culturel Paul-Gauguin, inauguré en 2003, propose un parcours à travers les reproductions de 130 tableaux. On y retrouve les oeuvres inspirées par la vie tahitienne, vision idyllique d’un paradis tropical, et celles qui tentent d’exprimer le mystère des croyances ancestrales de la Polynésie. Son oeuvre maîtresse, D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ?, constitue un testament spirituel.
Dans le jardin, on a reconstruit à l’identique la Maison du jouir, sa dernière habitation décorée de panneaux verticaux avec des femmes nues sur lesquels figuraient ces inscriptions : « Soyez mystérieuses » et « Soyez amoureuses et vous serez heureuses. » À l’époque, cette phrase avait fait scandale. Le peintre s’était aussi attiré les foudres de l’Église par son comportement libertin, nombreuses étant les adolescentes qui désertaient l’école au profit de cette demeure attirante. Tout près, on peut voir le puits restauré où il plongeait ses bouteilles d’absinthe, accrochées à une canne à pêche, pour les rafraîchir. Il appréciait fort ce terrible breuvage. Gauguin avait un jour émis le voeu de fonder, avec Vincent Van Gogh, un « Atelier des Tropiques ». Aujourd’hui, trois farés accueillent régulièrement des artistes venus du monde entier, inspirés – pourquoi pas – par cette même source qui donna naissance à l’esthétique primitiviste, laquelle a connu, au xxe siècle, de brillants développements avec Matisse, Derain, Lhote et Picasso.

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