Le secret irlandais

Publié le 17 juillet 2005 Lecture : 4 minutes.

Vous ne le saviez pas : l’Irlande est aujourd’hui le deuxième État le plus riche de l’Union européenne – après le Luxembourg.
Oui, ce pays qui, pendant des siècles, n’était connu que de ses émigrés, ses poètes tragiques, ses famines, ses guerres civiles et ses farfadets, affiche aujourd’hui un Produit intérieur brut par habitant plus élevé que celui de l’Allemagne, de la France ou du Royaume-Uni. La manière dont l’Irlande est passée, en une génération, de l’état « d’homme malade de l’Europe » à celui d’une nation prospère en dit long sur l’Europe d’aujourd’hui.

Les changements se situent dans la couronne des pays qui ont su s’adapter à la mondialisation – l’Irlande, le Royaume-Uni, la Scandinavie et l’Europe de l’Est -, alors que ceux qui ont suivi le modèle social franco-allemand subissent toujours un fort taux de chômage et une faible croissance.
Le tournant irlandais démarre vers la fin des années 1960, lorsque le gouvernement instaure la gratuité de l’enseignement secondaire et permet à un plus grand nombre d’enfants issus des milieux ouvriers de poursuivre leurs études ou de suivre une formation technique. Lorsque l’Irlande entre dans l’Union européenne (UE) en 1973, elle dispose ainsi d’une main-d’oeuvre beaucoup plus qualifiée.

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Vers le milieu des années 1980, l’Irlande a mis à profit les avantages de son appartenance à l’UE en utilisant ses subventions pour bâtir une meilleure infrastructure intérieure et trouver, hors de ses frontières, un vaste marché susceptible d’accueillir ses exportations. Mais, après des années de protectionnisme et de mauvaise gestion fiscale, elle manque de produits compétitifs à vendre. Le pays est au bord de la faillite et la plupart de ceux qui ont fait des études supérieures s’exilent à l’étranger.
« Nous nous sommes lancés dans une politique d’emprunts, de dépenses et de taxations qui nous a mis au bord du gouffre, raconte le vice-Premier ministre, Mary Harney. Et c’est parce que nous nous sommes retrouvés au bord du gouffre que nous avons eu le courage de changer les choses. »
Et du changement, il y en a ! Du jamais vu. Le gouvernement, les principaux syndicats, les paysans et les industriels se mettent d’accord sur un programme d’austérité fiscale. Les impôts sur les sociétés sont ramenés à 12,5 % – un taux bien inférieur à celui du reste de l’Europe. On freine au maximum les hausses des prix et des salaires, et on bat le rappel de l’investissement étranger. En 1996, l’Irlande a pratiquement instauré la gratuité de son enseignement supérieur, ce qui permet d’élever encore le niveau d’instruction de sa main-d’oeuvre.
Les résultats sont spectaculaires. Aujourd’hui, neuf grands groupes pharmaceutiques mondiaux sur dix possèdent des laboratoires et des bureaux en Irlande, de même que seize des vingt plus importants fabricants de matériel médical et sept des dix principaux concepteurs de logiciels. L’Irlande est l’un des premiers bénéficiaires des investissements directs étrangers en Europe. Et les rentrées fiscales suivent…

« Nous nous sommes installés en Irlande en 1990, explique Michael Dell, fondateur de Dell Computer. Pourquoi ? D’abord, parce qu’on y trouvait une main-d’oeuvre de qualité, et de bonnes universités. Mais aussi parce que, du fait de la politique industrielle et fiscale de l’Irlande, notre entreprise y était assurée d’un soutien sans faille, quel que soit le parti politique au pouvoir. Je crois que c’est parce qu’il y a assez de gens qui se souviennent des temps difficiles qu’on a dépolitisé le développement économique. En outre, l’Irlande dispose de très bons moyens de transport, d’une logistique de qualité, et sa situation géographique permet de livrer rapidement ses produits sur les grands marchés européens. »

Conclusions de Dell : « Les Irlandais sont compétitifs. Ils en veulent, ils « ont faim » et savent ce qu’il faut faire pour gagner. Notre usine est à Limerick, mais nous avons aussi plusieurs milliers de commerciaux et de techniciens près de Dublin. Le talent irlandais constitue pour nous une mine d’or. Le plus amusant est que nous sommes devenus le premier exportateur du pays. »
Intel ouvre sa première usine de microprocesseurs en Irlande en 1993. James Jarrett, son vice-président, explique que le groupe a été attiré par la présence sur le marché d’un grand nombre de jeunes Irlandais bien formés, par le bas niveau de l’impôt sur les sociétés et autres incitations qui ont permis à Intel d’économiser 1 milliard de dollars en dix ans. La protection sociale n’est pas non plus un handicap. « Nous employons ici 4 700 salariés dans nos quatre usines, indique Jarrett, et nous faisons même de la recherche avancée à Shannon avec des ingénieurs irlandais. »
En 1990, la main-d’oeuvre irlandaise représentait au total 1,1 million de personnes. Elle en comptera, cette année, 2 millions, avec un taux de chômage très bas et la présence de 200 000 travailleurs étrangers, dont 50 000 Chinois. « J’ai rencontré le Premier ministre chinois à cinq reprises depuis deux ans », précise le chef du gouvernement Bertie Ahern.

Les conseils de l’Irlande sont simples : proposez l’enseignement secondaire et supérieur gratuit ; soumettez les sociétés à des prélèvements peu élevés, clairs et transparents ; démarchez activement des groupes de dimensions mondiales ; ouvrez votre économie à la concurrence ; parlez anglais ; mettez de l’ordre dans votre fiscalité ; et négociez un consensus global avec les syndicats et le patronat – là, méfiez-vous, vous allez recevoir des coups -, et ainsi, vous aussi, vous deviendrez l’un des plus riches pays d’Europe.
« Ce n’est pas un miracle, conclut Mary Harney. Nous n’avons pas trouvé d’or. Nous avons seulement fait une bonne politique intérieure, et nous avons su nous adapter à la mondialisation. »

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